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REVUE. — CHRONIQUE.

libre, je me suis décidé à présenter à mon lecteur en leur donnant plus d’étendue. » Les Soirées de Saint-Pétersbourg ont paru en 1821 ; vingt ans et plus d’intervalle entre l’ouvrage et sa réfutation, c’est un peu moins de temps que n’en mit le Père Daniel à réfuter les Provinciales. Nous ne saurions rien de l’auteur anonyme des Soirées de Rothaval, sinon qu’il nous semble un esprit droit, scrupuleux et lent, un homme religieux et instruit ; mais une petite brochure publiée en 1839, et qui a pour titre : M. le comte Joseph de Maistre et le Bourreau, nous indique M. Nolhac, membre associé de l’Académie de Lyon, qui avait lu dès-lors dans une séance publique un chapitre détaché de son ouvrage. Il avait choisi un chapitre à effet, et nous préférons, pour notre compte, la couleur du livre à celle de l’échantillon. Le plus grand reproche qu’on puisse adresser au réfutateur de M. de Maistre, c’est qu’il n’embrasse nulle part l’étendue de son sujet, et qu’il ne le domine du coup d’œil à aucun moment ; il suit pas à pas son auteur et distribue à chaque propos les pièces diverses et notes qu’il a recueillies. Le journaliste Le Clerc, parlant un jour de Passerat et des commentaires un peu prolixes de ce savant sur Properce, je crois, ou sur tout autre poète, dit qu’on voit bien que Passerat avait ramassé dans ses tiroirs toutes sortes de remarques, et qu’en publiant il n’a pas voulu perdre ses amas. — On pourrait dire la même chose de l’ermite de Rothaval : il a voulu ne rien perdre et tout employer. Les auteurs et les autorités les plus disparates se trouvent comme rangés en bataille et sur la même ligue ; M. Ancelot, par exemple, y figurera pour six vers de Marie de Brabant, non loin de M. Damiron et des Védams. En revanche on doit au patient collecteur, en le feuilletant, de voir passer sous ses yeux quantité de textes dont quelques-uns nouveaux, assez intéressans et qui ont trait de plus ou moins loin aux doctrines critiquées. Plus d’une fois il a cherché à rétablir au complet, et dans un sens différent, des citations que de Maistre tirait à lui : cette discussion positive a de l’utilité. J’appliquerai donc volontiers à ces notes ce qu’on a dit du volume d’épigrammes : Sunt bona, sunt quædam…, et je pardonne à toutes en faveur de quelques-unes. Si l’on demandait à l’auteur des conclusions un peu générales, on les trouverait singulièrement disproportionnées à l’appareil qu’il déploie : « J’ai montré, dit-il en finissant, M. Joseph de Maistre injuste dans sa critique et dépassant presque toujours le but qu’il voulait atteindre, parce que, pour ne suivre que les inspirations de la raison, il lui aurait fallu avoir dans l’esprit plus de calme qu’il n’en avait. » — Ce sont là des truisms, comme disent les Anglais, et il semble que le réfutateur ait voulu infliger cette pénitence à l’impatient et paradoxal de Maistre, de ne pas les lui ménager. À lire les dernières pages des Soirées de Rothaval, je crois voir un homme qui a entendu durant plus de deux heures une discussion vive, animée, étincelante de saillies et même d’invectives, soutenue par le plus intrépide des contradicteurs, et qui, prenant son voisin sous le bras, l’emmène dans l’embrasure d’une croisée, pour lui dire à voix basse : « Vous allez