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de la religion, et nous nous contenterons de leur citer ces paroles de La Bruyère : « L’oisiveté des femmes et l’habitude qu’ont les hommes de les courir partout où elles s’assemblent donnent du nom à de froids orateurs, et soutiennent quelque temps ceux qui ont décliné. »

Cependant, au milieu de tous ces soins, l’église n’oubliait pas son but principal, l’éducation de la jeunesse. Ici l’embarras n’était pas médiocre, car l’ambition se trouvait plus grande que la puissance. Il est plus facile de fonder des établissemens de charité, de parer les temples et de se pourvoir de prédicateurs, que de suffire à l’instruction publique dans la société française. Le clergé avait d’ailleurs en face de lui un corps laïque, nombreux, tenu en haute estime par le pays, expression légale et savante de la science du siècle, et quand il s’examinait lui-même, il ne trouvait chez les siens ni ces fortes disciplines ni cette animation intellectuelle si nécessaires à l’apostolat de l’enseignement. C’est dans ces circonstances que vinrent s’offrir à l’église les jésuites.

Nous avons une raison particulière de parler des jésuites avec une scrupuleuse justice : on nous a adressé force injures en leur nom. Au surplus, la grotesque polémique du Monopole universitaire et du Catéchisme de l’Université ne venge que trop ceux qu’elle prétend accabler. Aujourd’hui les jésuites ont de singuliers interprètes et de tristes mandataires. Nous ne sommes plus au temps du père Brumoy et du père Porée. Que sont devenus ces pères spirituels et polis, insinuans, habiles, possédant des connaissances variées et l’art de la vie ? En vérité, on pourrait reprocher à ceux qui de nos jours se mettent en avant pour représenter ou servir la compagnie, non pas tant d’être jésuites, que de ne pas l’être assez. Au reste, c’est l’affaire de la société ; prenons-la telle qu’elle se comporte aujourd’hui : Sint ut sunt.

Tels sont les avantages d’une organisation profonde et forte, qu’elle supplée à l’insuffisance des hommes. Nous n’avons pas entendu dire que la société de Jésus ait aujourd’hui dans son sein de remarquables talens : nous ne connaissons ni ses prosateurs, ni ses poètes, ni ses penseurs, et tout l’éclat littéraire de la compagnie se concentre dans les prédications de M. de Ravignan. Mais la hiérarchie des jésuites, leur discipline, leur persévérance, l’ardeur et l’étendue de leur ambition, des traditions qui comptent trois siècles, des méthodes et des habitudes d’enseignement pratiquées sinon avec éclat, du moins avec ténacité, tout cela constitue dans le monde catholique une puissance vers laquelle le clergé de France, au milieu de ses projets et de ses embarras, a naturellement tourné les yeux.