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L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

Nous ne confondons pas l’église et les jésuites, mais nous disons que les jésuites sont aujourd’hui, en France, nécessaires à l’église. L’état de ses affaires ne lui permet pas de congédier de pareilles troupes.

L’église gallicane n’a plus cette foi en elle-même qui la fortifiait au XVIIe siècle. À cette époque, Bossuet lui décernait cette louange d’être représentée par le plus docte clergé qui fût au monde[1], et il ajoutait : « Qu’elle est belle cette église gallicane, pleine de science et de vertus ! » L’Écriture nous raconte que, lorsque Balaam aperçut du haut d’une montagne le camp d’Israël dans le désert, il s’écria : « Ô Jacob ! que vos tentes sont belles ! Quel ordre ! quelle majesté dans vos pavillons ! » Bossuet, en 1681, faisait avec orgueil à l’église gallicane l’application de cette parole. Alors le clergé de France avait son génie et ses maximes. Tout en se rattachant à l’église romaine par les liens d’une antique tradition, il s’en distinguait par son esprit et sa discipline, par des principes qui en faisaient une grande église nationale, sans l’empêcher d’être catholique, d’être une partie de l’église universelle. Ce fut là le chef-d’œuvre de la sagesse et du bon sens. Quel changement aujourd’hui ! C’est au-delà des monts que le clergé de France cherche maintenant toutes ses inspirations, toutes ses doctrines, et il ne croit plus avoir d’autre ancre de salut que la plus complète adhésion à tout ce que Rome pense et veut. Les raisons de cette conduite nouvelle se peuvent comprendre. Dans l’ancienne monarchie, l’église s’appuyait avec confiance sur le gouvernement temporel ; elle se confondait avec lui dans certaines parties de l’ordre politique, et cette solidarité ne lui permettait pas d’abandonner nos rois quand ils n’étaient pas d’accord avec le pape. Depuis cinquante ans au contraire, le gouvernement temporel est suspect à l’église ; elle a tenu pour ennemis tous les régimes qui se sont succédé pendant un demi-siècle, même quand ces régimes s’employaient à relever la religion. Dès les premiers momens de la restauration, les doctrines ultramontaines ont prévalu dans l’esprit du clergé : M. de Lamennais a aimé le pape avec fureur. La défection de l’éloquent rédacteur du Mémorial Catholique n’a rien changé aux dispositions de notre clergé ; elle a plutôt au contraire accéléré le mouvement qui le poussait dans le sein de Rome. Il n’y a pas jusqu’au schisme stupide de M. Châtel qui n’ait été pour quelque chose dans cet entraînement. Tout semblait avertir nos prêtres qu’en

  1. Sermon sur l’unité de l’église.