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de ce brave protestant, qui attribue à la confession cette vertu inexpugnable. C’est en allant aux courses de Killarney qu’il laisse échapper l’aveu suivant :

« …… Jamais, sur de pauvres ou riches épaules, je n’ai vu tant de jolies figures. Les jeunes paysannes elles-mêmes ont dans le regard une expression de tendresse langoureuse que je préfère encore à leur beauté… La foule se livrait, du reste, à la gaieté qu’on retrouve partout ici : les piétons échangeaient toute espèce de plaisanteries avec les charmantes personnes qui passaient en voiture au milieu de la chaussée. Les gars les saluaient toutes sans exception de quelque compliment très expressif. L’une d’elles, plus fière ou plus timide que les autres, détournant la tête et ne montrant à ses admirateurs qu’une masse énorme de beaux cheveux bruns, profusément répandus sur ses épaules, fut embrassée, — la voiture venant à s’arrêter un instant, — par le plus téméraire d’entre eux. Un beau soufflet tomba tout aussitôt sur la joue du coupable, qui se mit à crier : Au meurtre ! et fut accablé d’aigres reproches par toutes les capes bleues qui garnissaient le fond de la carriole. Mais, un instant après, ces bonnes figures irlandaises riaient à qui mieux mieux de l’aventure, et l’audacieux voleur eût pu, sans courir les mêmes dangers, réitérer sa galante prouesse.

« Ici, de peur qu’on ne prenne mauvaise opinion d’un écrivain qui traite si légèrement un pareil attentat, il faut bien ajouter que, malgré ces embrassades, ces folâtreries, ces badinages perpétuels, il n’est pas au monde de plus innocentes jeunes filles que les jeunes filles irlandaises, et que la pruderie délicate de nos Anglaises est d’une défense beaucoup moins sûre. Il ne faut que traverser une ville d’Irlande et une ville d’Angleterre pour juger de leur moralité relative. Ce grand épouvantail, le confessionnal, se dresse toujours en face de la jeune Irlandaise, qui sait bien que, tôt ou tard, il y faudra tout raconter. »

Maintenant, comme il serait assez maladroit de voyager en Irlande sans y voir le père Mathew, nous reviendrons sur nos pas jusqu’à Cork, la ville la plus littéraire que notre touriste ait rencontrée sur sa route. Ce fut en descendant de voiture que Titmarsh vit passer dans la rue un homme de quarante-deux ans environ, que son extérieur avenant et les respects dont il était l’objet lui firent distinguer tout d’abord. Un instant après, il reconnut une figure que la lithographie a popularisée dans les trois royaumes. C’était, en effet, Théobald Mathew, l’apôtre de la tempérance. Ce grand homme s’approcha de la voiture ; et serra cordialement la main du cocher, qui était un adepte récent du teetotalism. Le lendemain, notre voyageur eut occasion de lui être présenté. C’était, pour le prêtre catholique, une épreuve difficile, dont il se tira fort bien, à ce qu’il semble. Du moins paraît-il avoir fait à demi la conquête du sensuel hérétique, s’il faut en juger par le témoignage favorable que celui-ci s’empresse de lui rendre.

« Il n’y a rien de remarquable en M. Mathew, nous dit-il, si ce n’est son excessive simplicité de mœurs, sa cordialité, son air de franchise et de résolution ; très différent en ceci de la plupart de ses collègues. D’où vient cette