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jouent je ne sais combien de petites pièces, mais il faut à ces petites pièces leur auditoire particulier : elles plaisent peu au vrai public.

Voulez-vous aujourd’hui vous mettre au régime des petites villes ? Oh ! alors vous n’aurez que l’embarras du choix. Les petites querelles abondent, les débats minutieux pleuvent de tous côtés ; on se dispute à droite, à gauche, au milieu, partout. Querelle entre les journaux légitimistes et républicains, et question de savoir si, en 1815, à Grenoble, M. de Genoude a cassé son sabre contre la baïonnette d’un de nos soldats ; à quoi M. de Genoude répond qu’en 1813 il priait pour détourner l’invasion étrangère loin du sol français. À Dieu ne plaise que nous voulions entrer dans cette querelle ! M. de Genoude nous écrirait quelque longue lettre ; nous dirons seulement que, pour notre compte, nous savons gré aux journaux républicains de n’avoir pas pu supporter plus long-temps les équivoques et les réticences que contenait leur prétendue union avec les légitimistes. Il faut pour unir deux partis opposés, il faut mieux que les finesses de quelques intrigans, il faut même plus que l’estime réciproque que peuvent avoir les uns pour les autres les honnêtes gens des deux partis, il faut un but commun ; or, les uns ont pour but la république et les autres Henri V. L’accord réel est donc impossible, et, quant à singer l’amour et l’amitié, cela ne peut convenir qu’à ceux qui se sont habitués à porter un masque. Tel n’est pas le parti républicain : il vise à une chimère et à un malheur ; mais il y vise franchement.

Nous avons parlé d’Henri V. Le duc de Bordeaux a été passer quelques jours à Berlin ; il est en ce moment en Angleterre. Il a été et il sera partout reçu en prince, nulle part en prétendant. Nous ne savons pas si le duc de Bordeaux a de l’ambition ; nous sommes plutôt disposés à croire qu’il a du bon sens, et les voyages qu’il a déjà faits, ceux qu’il fait en ce moment ont dû singulièrement l’éclairer sur sa situation. Il ne voyage pas au hasard ; il a soin de faire savoir où il veut aller, afin de pressentir l’accueil qu’il recevra. Il a dû remarquer que personne aujourd’hui n’était embarrassé de le recevoir, parce que personne ne songe à le recevoir comme un prétendant. Il n’y a à cet égard dans les princes dont il visite les états aucun doute, aucune irrésolution. Fort décidés à vivre en bonne intelligence avec la France et à tenir le roi Louis-Philippe pour très légitime roi des Français, ils reçoivent le duc de Bordeaux de manière à bien lui montrer que leur décision est prise. Ils rendent à l’homme et à son rang tout ce qu’ils lui doivent ; mais ils n’accordent rien à ses prétentions, s’il en a. Enfin, ce qui doit achever d’éclairer le duc de Bordeaux sur sa fortune, c’est que le seul prince qui, sans avoir rompu avec la France, passe pour avoir peu d’affection pour la monarchie de juillet, l’empereur de Russie, est le seul que le duc de Bordeaux n’a jamais pu rencontrer, quoiqu’il l’ait désiré, dit-on, le seul aussi dont il n’ait pas encore visité les états, et nous concevons la réserve de l’empereur de Russie. Il ne veut pas recevoir le duc de Bordeaux comme prétendant : ce serait se séparer de l’Europe ; il ne veut pas non plus le recevoir seulement