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SAINT-GILES.

on consacre à peine dans cette capitale 3 à 4 millions de francs au service des secours publics.

Voilà pour le budget de la charité régulière à Londres. Mais ce n’est pas de ce côté que se montrent les symptômes les plus menaçans. Quels que soient les progrès de la misère locale, comme une population ne passe pas en un jour de l’aisance à la pauvreté, on peut encore les prévoir et y faire face. Ce que l’on prévoit difficilement, c’est la misère qui déborde d’un lieu sur un autre, lorsqu’une communauté urbaine ou rurale, se trouvant dans l’impuissance absolue de porter le fardeau que la Providence lui avait assigné, en laisse retomber une partie sur les épaules de ses voisins. Voilà ce qui arrive à Londres aujourd’hui. Une armée de misérables à demi nus chassés par la faim des districts agricoles, du Lancashire, de l’Écosse et de l’Irlande, envahit les rues de la métropole. On peut suivre dans les registres d’une seule union, celle de la Cité, la marche de cette inondation ; En 1838, le nombre des pauvres forains (casual paupers) qui avaient accidentellement demandé du secours se bornait à 356 ; en 1839, il était de 2,403 ; en 1840, de 11,203 ; en 1841, de 26,703, et en 1842, de 45,000 ; on en comptera bien davantage en 1843.

Une lettre écrite par M. Thwaites, administrateur des secours (relieving officer) dans la Cité, présente des détails pleins d’un touchant intérêt sur les causes du vagabondage épidémique qui désole Londres. « Le vagabondage, dit ce magistrat, s’accroît d’une manière alarmante dans la métropole ; cela tient en partie à la détresse des districts manufacturiers, et en partie à la cessation, dans les districts agricoles, des travaux de chemins de fer.

« Les laboureurs sont dans l’usage de quitter leurs foyers pour aller chercher du travail, particulièrement dans l’intervalle d’une moisson à l’autre. Pendant que les chemins de fer étaient en cours d’exécution, la facilité avec laquelle les bras trouvaient de l’emploi déterminait des milliers d’entre eux à émigrer ainsi. Ils recevaient un salaire élevé, faisaient un travail pénible, vivaient bien et ne murmuraient pas ; quand une ligne de fer était terminée, ils passaient à une autre, mais cette ressource n’existe plus aujourd’hui pour eux.

« Les ouvriers quittent les districts manufacturiers avec leurs familles, lorsqu’ils sont mariés, et en plus grand nombre que jamais depuis la crise qui frappe l’industrie. Ils vont de ville en ville, n’obtiennent du travail dans aucune, et, de même que les terrassiers, finissent par se diriger vers la capitale, pensant y trouver plus