Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/385

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
379
SAINT-GILES.

avec les voleurs, les filous et les recéleurs, facilitent leurs déprédations. Elles constituent aussi une classe nombreuse de coupeuses de bourses (pick-pockets), et commettent une infinité de petits délits. »

La supplique des habitans de la Cité a été entendue, bien qu’un peu tard. L’acte de 1829 défend à toute prostituée ou rôdeuse de nuit (night-walker) de se placer sur la voie publique pour solliciter les passans ; en cas de contravention, la peine portée est une amende de 40 shillings, ou à défaut un mois de prison. Cependant la police ne met pas une grande rigueur dans l’exécution de la loi ; pourvu que les prostituées ne se rendent pas trop importunes et ne soient pas trop bruyantes, on les laisse circuler librement. Du reste, on n’exerce sur elles aucune espèce de surveillance. La pudeur anglaise s’oppose invinciblement à un contrôle sanitaire du genre de celui qui est en usage à Paris, où il a contribué à diminuer, depuis plusieurs années, les ravages d’un mal sans nom. Un système de laisser-faire absolu prévaut en cette matière ; il n’y a pas d’autre digue que la prudence individuelle pour arrêter l’effroyable contagion.

J’avoue que le système français me paraît préférable. S’il y a le moindre espoir d’arracher à la prostitution quelques-unes de ses victimes, les soins donnés à leur santé y serviront autant que les enseignemens moraux. Il est bon encore que ces infortunées créatures ne puissent pas, quand elles le voudraient, se séparer entièrement de la société, et que, les liens de la famille se rompant, la tutelle de l’administration les suive au fond de leurs égaremens. Un gouvernement ne devient pas responsable de ces désordres par cela seul qu’il s’efforce, en les régularisant, d’en limiter l’étendue. Partout au contraire où la prostitution demeure livrée à elle-même, elle devient bientôt comme la pépinière de toute espèce de délits.

À Paris, malgré la sévérité des règlemens, le pouvoir discrétionnaire du préfet de police n’atteint pas plus de 5 à 6,000 filles publiques par année[1]. À Londres, sans y comprendre la Cité, qui a sa police distincte, 12,104 femmes ont été arrêtées soit comme prostituées, soit comme excitant quelque tapage (disorderly characters), soit comme suspectes (suspicious characters), soit en état d’ivresse dans les rues. Le mouvement des arrestations, qui avait été en décroissant à partir de 1831, éprouve une recrudescence très marquée depuis deux ans.

Je ne veux pas établir de comparaison entre la situation des prostituées à Londres et les conditions de leur existence à Paris : les

  1. En 1842, 5,734 filles ont été arrêtées et conduites au dépôt de la préfecture.