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nuation affaiblie des croupes gigantesques du Monte-Rotondo et du Monte-Cinto. En effet, une chaîne granitique dirigée du nord au sud, prenant naissance au nord de la Corse et venant mourir au cap Carbonara, à l’extrémité méridionale de la Sardaigne, forme le noyau de terrain primitif dont paraît avoir été composée, dans les premiers âges géologiques, cette portion de continent aujourd’hui divisée en deux îles, la Corse et la Sardaigne. Cette chaîne centrale, prolongée transversalement par des ramifications secondaires, souvent interrompue par de profondes coupures ou par de larges plateaux, bouleversée par des perturbations qui ont couvert le sol de grandes nappes de roches d’éruption, atteint, vers le centre de l’île, sous le nom de Gennargentù, la hauteur de 1,917 mètres. Celle du Monte-Rotondo, en Corse, est de 2,672 mètres.

L’aridité de ces montagnes n’en détruit cependant pas la majesté, à en juger du moins par l’aspect de la région méridionale, que nous avons particulièrement explorée. Le chaînon qui se ramifie vers le sud-est, en poussant jusqu’à la mer la pointe de Carbonara, est un entassement de blocs granitiques qui affectent des formes tourmentées et bizarres, comme pour conserver le souvenir d’un gigantesque bouleversement. Des tableaux encore plus saisissans s’offrirent à nous pendant les laborieuses journées que nous employâmes à sonder la rade de Saint-Pierre. Vers une heure, quand le soleil de juin devenait intolérable, et que la faim nous pressait, nous cherchions à terre un abri pour quelques instans. Tantôt nous trouvions l’ombre et la fraîcheur dans les fractures d’un terrain bouleversé ; tantôt une falaise qui semblait avoir été tranchée d’un seul coup, tant elle était lisse et inaccessible, se dressait bariolée par de larges stries d’ocre jaune et rouge. D’autres fois, c’était un promontoire de trachyte bleuâtre qui surgissait à nos yeux, et ses colonnes juxta-posées, avec leurs découpures bizarres et leur merveilleuse efflorescence, nous donnaient l’idée d’un château gothique sorti par magie du sein des eaux. Des falaises de porphyre, d’un rouge brun luisant, nous ont parfois offert des asiles splendides. Une étroite fracture qui se prolongeait jusqu’au haut de la falaise, et qui laissait à peine passage à notre canot, nous introduisait dans un vaste bassin rempli d’une eau limpide et profonde. Les massifs rochers, inclinés l’un vers l’autre, pressaient entre eux, au sommet du dôme qu’ils formaient sur nos têtes, une gigantesque clé de voûte mal attachée, menaçante, et qu’on eût dit devoir s’abattre à la moindre vibration de l’air. Néanmoins, fascinés par la magnificence du spectacle, nous prenions pos-