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LA SARDAIGNE.

saison. La population de Cagliari reste tout entière confinée dans l’étroite enceinte de la ville ; ceux qui s’aventurent pendant quelques heures au dehors ne le font qu’avec un luxe de précautions qui trahit leurs inquiétudes. L’île vit pour ainsi dire dans une espèce de quarantaine pendant six mois de l’année. Si un étranger arrive à cette époque redoutée, il ne peut manquer d’être frappé de cette préoccupation universelle. De bienveillantes recommandations le mettent en garde contre les dangers du climat ; on s’alarme pour lui, on lui demande ce qu’il vient faire dans une pareille saison ; on l’engage à fuir, à revenir dans des temps meilleurs. L’intempérie est dans toutes les bouches ; les noms d’Oristano, de Pula, de Terra-Nova, bien d’autres encore, traînent toujours avec eux un cortége de lamentables histoires. On est tellement ému de la violence de l’intempérie, qu’on se refuse généralement en Sardaigne à lui reconnaître avec les fièvres miasmatiques des autres pays une commune origine. Parmi les personnes qui veulent en trouver l’explication dans l’intervention d’agens plus énergiques que les exhalaisons ordinaires des terrains marécageux, les unes attribuent cette action délétère à la décomposition de certaines plantes de la famille des iridées, propres aux marais de la Sardaigne, d’autres admettent l’existence de gaz souterrains que la terre laisserait échapper en se fendillant pendant les grandes chaleurs ; mais les hommes spéciaux ont tous résolu la question dans le même sens : l’intempérie n’est qu’une fièvre miasmatique ; des travaux de culture et de dessèchement dirigés avec intelligence contribueraient à en délivrer la Sardaigne.

Il est heureusement plus facile qu’on ne le croirait de se soustraire à l’influence de ces miasmes pernicieux. La sphère où ils règnent paraît fort bornée. Cagliari, dont la colline s’élève au milieu d’étangs et de marais, est un lieu de sûreté pendant la mauvaise saison. L’île de Saint-Pierre, située en face des marais de Porto-Senso, ne connaît pas l’intempérie, et les bâtimens qui séjournent dans le golfe de Palmas, entre la plaine marécageuse de Villarios et la vallée si malsaine de Maladrossia, n’ont rien à redouter de cette maladie, pourvu qu’ils évitent de laisser leurs marins descendre à terre. Sans ce droit d’asile octroyé à certains lieux, la Sardaigne ne serait pas habitable. Quiconque n’aurait point été acclimaté dès l’enfance n’y pourrait séjourner pendant la moitié de l’année. On comprend sans peine que des Piémontais, des soldats du comté de Nice ou de la Savoie n’abandonnent pas sans répugnance un pays sain, des villes heureuses, de riantes campagnes pour venir affronter ces