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leur lait, car la laine des brebis est sans valeur au dehors et n’est employée que dans le pays à la fabrication d’une étoffe grossière appelée furesi, qui joue le principal rôle dans l’habillement des habitans de la campagne.

La chasse est aussi une des grandes ressources de la Sardaigne. Toutes les espèces de gibier s’y trouvent en abondance, et le marché de Cagliari ne manque jamais de venaison. Les perdrix, les lièvres, les grives, se rencontrent partout ; les pigeons ramiers n’abandonnent guère les falaises escarpées de la côte. Les étangs du littoral se couvrent aussi, vers la fin de l’été ou pendant l’automne, de flamands, de cygnes, d’oies et de canards sauvages, dont on voit les longues files déployées dans le ciel arriver sans cesse du nord et du midi et venir s’abattre sur le rivage. Les sangliers habitent les forêts du centre. Les cerfs, d’une taille médiocre il est vrai, se trouvent en grand nombre dans la province de Sulcis, la Barbargia et la Gallura. Les daims, ordinairement réunis en troupes de vingt à trente, sont assez faciles à tuer. Quant au moufflon, animal ruminant et qui se laisse difficilement approcher, il est assez commun dans les lieux escarpés, qu’il préfère.

La mer est pour la population sarde un trésor inépuisable. Tous les poissons de la Méditerranée propres à la salaison se trouvent en abondance dans les parages voisins. Pour quelques pièces de monnaie, nos matelots ornaient leur table d’un homard magnifique ou de ces beaux poissons qu’on appelle des denties, et que j’ai retrouvés au musée de Cagliari sous le nom de dentatus. Souvent une occupation lucrative devient un plaisir : telle est la pêche aux flambeaux, dont le spectacle fit diversion à nos fatigues pendant notre exploration du golfe de Palmas. Qu’on se représente dans un canal étroit et peu profond une centaine de petites barques maniées par un seul homme avec une dextérité surprenante, et voltigeant sur l’onde, pour ainsi dire, à la lueur d’un grand feu de bois résineux allumé à la proue. Sur l’avant se tient debout, attentif et silencieux, le pêcheur armé de la fouine aux cinq dents aiguës ; sa silhouette, enluminée par les reflets sataniques d’une flamme rougeâtre se détache d’une façon bizarre sur le ciel. D’une main, il dirige le rameur qui doit suivre le poisson dans ses capricieux détours ; de l’autre main, il balance son arme : son œil ne quitte pas la surface de l’eau, et tout à coup vous le voyez darder rapidement la fouine, et la retirer avec un mulet ou une sole qu’il jette fièrement au fond du bateau.