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manquait jamais un œuf jeté en l’air devant lui. Il accordait audience à ses amis ; mais il eût été peu prudent de se présenter sans un sauf-conduit, car il y avait toujours quelques bandits bien armés et d’énormes mâtins placés en sentinelle pour prévenir les surprises. À la fin, la trahison le livra à ses ennemis. Il fut massacré avec tous ses compagnons, pendant qu’ils étaient plongés dans un profond sommeil, produit par de l’opium qu’on avait mêlé à leur vin.

Ambrosio de Tempio avait tué tant d’hommes et tenu si long-temps contre tous les efforts des autorités, que bien des gens le croyaient sous la protection particulière d’un saint. Il disparut cependant un jour, étant probablement mort dans quelque caverne des suites de ses blessures, ou par quelque autre accident. Il y a encore dans le canton où l’on a conservé son souvenir plus d’un paysan qui le croit vivant et s’attend à le voir reparaître. Le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un fusil en Sardaigne, c’est de le comparer à la redoutable canna d’Ambrosio.

Tous ceux qu’un délit plus ou moins excusable expose aux rigueurs de la loi ne sont pas assez heureux pour aller mener dans les montagnes cette poétique vie de bandit. Les coupables que la justice peut atteindre sont condamnés aux galères quand ils évitent la peine capitale. Au reste, on est loin d’attacher dans l’île aucune idée d’ignominie à ce rigoureux châtiment des travaux forcés, quand celui qui le subit n’a commis qu’un de ces actes de violence excusés, ou, pour mieux dire, commandés impérieusement par les mœurs du pays : ce qui l’eût déshonoré aux yeux de tous, c’eût été de ne pas riposter à un premier coup, de ne pas laver dans le sang une insulte. Les galériens sont en général employés à l’exploitation des salines ; quelquefois, par une sorte de commutation de peine, on les attache à des spéculations particulières. Il y a quelques années, un homme généreux et entreprenant, le général Incane, en inspection militaire dans l’extrémité orientale de l’île, s’affligea de ne rencontrer qu’une population rare, abrutie et misérable dans un canton fertile et favorablement situé. Il conçut le projet d’y fonder un village. À son retour à Cagliari, il obtint du gouvernement une concession de terres, et en même temps une concession de galériens. Ce furent les commencemens de Rome et de Carbonara. Une modeste église, que le général fit élever à ses frais, devint un centre de population auquel vinrent se rallier les pâtres de la montagne et les sauvages de la côte. Aujourd’hui, la plaine de Carbonara produit du blé, du vin, nourrit de nombreux troupeaux, et le bienfaiteur de