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cheveux. Quelquefois le poète y mettait de la coquetterie. Ainsi, à une soirée chez Wieland, il lui jeta un bouquet de violettes enfermé dans une bourse. Bettina, folle de ce gage d’affection, le laissa quelque temps après tomber dans une rivière et fit une demi-lieue à la nage pour le rattraper. Tout cela, d’ailleurs, se passait avec la plus grande innocence du monde, au su de tout Weimar et de l’assentiment de la femme de Goethe, à qui Mlle de Brentano, dans ses lettres, fait souvent ses complimens, et de qui elle écrit : « Personne ne l’aime plus que moi. » Si Bettina tutoie Wolfgang, c’est par privilége d’écrivain et d’artiste, c’est pour le rhythme. Au surplus, on ne saurait se figurer sans avoir lu cette correspondance, de quels termes brûlans use Mlle de Brentano, et comment elle se laisse incessamment emporter par l’orage de son cœur. Le danger même de cette situation paraît l’exciter et l’enivrer. Parlant de la cathédrale de Cologne, dont elle venait de visiter les tours, Bettina raconte que deux fois le vertige avait voulu s’emparer d’elle, et que deux fois l’idée lui étant venue qu’elle pourrait y succomber, elle s’aventura tout exprès, elle s’avança davantage pour braver la peur : il semble vraiment qu’elle traite son attachement pour Goethe précisément de la même façon ; chaque jour elle s’y jette plus avant, comme pour s’étourdir. C’est elle-même, ailleurs, qui compare son amour à un roc escarpé où elle s’est risquée, au péril de sa vie et d’où elle ne peut plus redescendre. Le plaisir de désaltérer son ame à l’ame d’un autre, voilà surtout ce qui la soutient et l’exalte. Quelquefois sa passion est si fantasque, qu’elle va jusqu’à être jalouse des héroïnes littéraires du poète, jusqu’à porter envie au rayon de soleil qui glisse à travers le store de sa fenêtre, et même à l’honnête jardinier qui plante sous sa direction des couches d’asperges. On en conviendra, ceci est de la naïveté allemande.

Ce n’est pas la vanité littéraire, comme on le pourrait soupçonner, qui encourageait Bettina dans la perpétuelle offrande de son cœur. Si Goethe, en effet, la chante dans ses vers, elle en est toute confuse. « J’aime mieux soupirer, écrit-elle, que de me voir, honteuse et couronnée, amenée par ta muse à la lumière du jour : cela me fend le cœur. Oh ! je t’en prie, ne me regarde pas si long-temps, ôte-moi la couronne ! » Voilà certes, de la part d’un esprit aussi aventureux, aussi peu inquiet des modesties féminines, voilà des sentimens honnêtes, réservés, qui plaisent et qui rendent indulgent. Tout ce que désire Bettina, en épanchant ainsi son ame aux pieds du poète, c’est qu’on honore un jour sa fidélité. « Jamais, dit-elle quelque part, on ne connaît de moi que cet amour, et je crois que c’est suffisant pour pouvoir léguer ma vie aux muses comme un document important. » Vanité bien humble que celle-là ! désir bien excusable, que de vouloir qu’on la voie s’enfuir derrière cette haie de l’oubli… Cupit ante videri.

Telle est Bettina. Sa manière de vivre, durant ces années de la jeunesses fut aussi bizarre que l’est son livre lui-même. À n’en juger que par ses propres récits, les caprices les plus inattendus, les entreprises les plus hardies, ne lui coûtaient pas. Y a-t-il des armées qui encombrent les routes ? la voilà aussitôt