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que la mystérieuse conspiration de Jean de Procida ? Avant de rien résoudre, il importe de faire connaître les considérations préliminaires sur lesquelles s’appuie l’auteur, les antécédens d’où il part.

Le fait qui semble frapper tout d’abord M. Amari, quand il considère dans son ensemble l’histoire de l’Italie au XIIIe siècle, c’est le développement singulier de l’élément démocratique et communal. La politique des papes, on le comprend, ne manqua pas de s’emparer de cet esprit guelfe pour s’en faire une arme contre la domination allemande ; elle n’y manqua pas, surtout quand les envahissemens de la maison impériale se furent étendus sur la Pouille. En Sicile, jusqu’au commencement du XIIIe siècle, l’organisation municipale était très forte, et partant le pouvoir monarchique et aristocratique était limité. Cependant, avec son génie souple, avec son amour contradictoire du despotisme et de la civilisation, Frédéric II bientôt s’essaya au pouvoir absolu. À mesure que les impôts augmentaient, les libertés diminuèrent ; le peuple était mécontent : Rome, dans ses luttes avec Frédéric II, en profita. L’esprit démocratique fut donc habilement soulevé, dans les cités de la Pouille et de la Sicile, par les intrigues du saint-siége, si bien qu’après la mort de Frédéric et de son fils Conrad, on proclama la république à Palerme. Le parti gibelin et aristocratique avait cependant assez de ressources pour disputer la victoire au parti municipal et guelfe. Le courage et l’habileté du fils de l’empereur y suffirent : Mainfroi chassa les armées papales du royaume de Naples et renversa en Sicile ce simulacre d’établissement libéral. Il fallut retomber sous le gouvernement monarchique de la maison de Souabe.

La fédération des municipes ayant échoué, les séductions républicaines ne suffisant plus à soulever les peuples, la politique pontificale dut aviser à d’autres moyens. S’appuyant donc sur la tradition suspecte d’une concession de la Sicile faite par elle aux Normands, Rome conçut le projet d’une royauté nouvelle dans l’Italie méridionale, d’une royauté qui accepterait son vasselage. Elle imagina de concéder ce fief à un prince ultramontain, qui relèverait du saint-siége. Quelques négociations furent tentées avec l’Angleterre et échouèrent ; puis Charles d’Anjou, qui régnait en Provence, accepta le rôle que lui offrit la papauté. Il avait de l’argent et une armée ; Mainfroi, au contraire, trop fidèle au système paternel, était devenu impopulaire en Sicile. Aussi le parti guelfe et municipal fut-il un appui pour Charles : la conquête lui réussit, il régna. Alors eut lieu, au sein des partis, un de ces changemens dont l’histoire a enregistré tant d’exemples. On se trouve d’accord la veille de la bataille ; on est en lutte le lendemain de la victoire. Le parti municipal vit bientôt dans le prince provençal un tyran plus insupportable qu’aucun des précédens rois souabes. En effet, les aventuriers qui l’avaient suivi se disputaient à l’envi les fiefs et accaparaient toutes les faveurs. Comme les vexations du fisc avaient fait fuir la plupart des anciens feudataires, Charles put les remplacer par ses compagnons d’armes. Ces parvenus, érigés en seigneurs, voulurent aussitôt exercer sur leurs vassaux tous les abus de la féodalité française d’alors, abus ignorés jusque-là de la Sicile ou victorieuse-