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privilége d’approcher, des femmes lièrent une conjuration qui faillit changer les destinées du royaume. Les deux reines y portèrent la violence de leurs passions personnelles contre le cardinal ; la princesse de Conti et la duchesse d’Elbeuf s’y associèrent par suite d’intérêts froissés et de ressentimens de famille ; le garde-des-sceaux de Marillac et son frère, auquel Richelieu avait fait donner récemment le bâton de maréchal, accueillirent un projet qu’on promettait de faire servir à l’avancement de leur fortune. Le roi parlait souvent des procédés violens du cardinal, de sa superbe et de son despotisme ; il se plaignait d’être effacé par son ministre, au grand détriment de sa dignité souveraine. Il ne fut pas difficile de profiter de cette disposition de son esprit et de cette prostration de ses forces pour lui arracher, au prix d’un redoublement de tendresse, la vague promesse de sacrifier son ministre. Pour échapper à la fatigue de cette lutte, le roi demanda du temps, et la reine-mère consentit à différer jusqu’au retour de la cour à Paris la réalisation de ce qu’elle considérait comme une parole royale ; mais elle ne put s’empêcher d’escompter ce triomphe, de l’étaler à l’avance avec une imprudente complaisance. Dans l’entrevue de Versailles, elle vint avec hauteur exiger comme une dette ce qu’il aurait fallu implorer comme un bienfait, et elle laissa deviner au roi un joug plus dur et plus humiliant que celui dont on affectait de vouloir le délivrer. Richelieu, de son côté, en appela de Louis malade à Louis en bonne santé ; il parla à la fierté du roi, resplendissant de la gloire de ses armes ; puis affectant un dégoût profond du pouvoir, il supplia le prince de le sacrifier à la paix de sa famille, et reçut l’ordre formel de rester auprès du trône, à la sûreté duquel il était devenu nécessaire. Ainsi finit cette journée, baptisée du nom de journée des dupes par l’une de ses plus spirituelles victimes ; ainsi se préparèrent à la fois l’omnipotence du ministre et la disgrace de la reine-mère.

Les évènemens qui suivirent cette crise durent faire pressentir à cette princesse le sort qui l’attendait. L’ascendant du cardinal était devenu irrésistible, et déjà son bras s’appesantissait avec une rigueur inexorable sur ceux qui avaient commis le crime de douter de sa fortune. La cour fut interdite à tous ceux qu’il avait appris à connaître pour ses ennemis. Bassompierre alla préparer ses bons mots à la Bastille ; une prison rigoureuse s’ouvrit pour le garde-des-sceaux de Marillac, et son frère, arrêté en Italie à la tête de son corps d’armée, se vit placé sous une accusation de péculat pour des faits qui n’étaient pas de nature à faire fustiger un laquais, selon les expressions