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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

chelieu seul avait brûlé ses vaisseaux, seul il résistait à la mère et au frère du monarque avec toute l’énergie que le désespoir met au service de l’ambition. Pour contenir l’aristocratie de cour et la haute magistrature réunies dans une opposition commune, il divisait les attributions, multipliait les offices, élevait ses créatures à de surprenantes fortunes. Comme tous les chefs de gouvernement dans les temps de révolution, il avait pour maxime d’établir « le plus possible de gens nouveaux, parce que l’intérêt qu’ils ont au temps présent est la meilleure caution de leur fidélité[1]. » Ces hommes obscurs, qu’il faisait siéger au conseil d’état, sur les bancs des enquêtes, dans les chambres des comptes, qu’il envoyait comme agens diplomatiques dans toutes les cours de l’Europe, devenaient ses espions, ses commissaires, ses juges, et au besoin ses bourreaux. Liés étroitement à sa fortune par l’intérêt même de leur conservation, ils trouvaient en lui seul leur sécurité et leur garantie. Aussi ne lui firent-ils jamais défaut, lorsqu’à l’exemple de tous les pouvoirs menacés il éprouva la dangereuse tentation de suppléer à la force par la terreur.

Arrêté depuis deux années, le maréchal de Marillac attendait qu’il plût au ministre de faire statuer enfin sur des faits que les juges ne prenaient guère plus au sérieux que l’accusateur lui-même. Prisonnier politique, les circonstances seules devaient décider de son châtiment et de son crime. Or, ces circonstances étaient devenues terribles. L’Espagne se préparait à seconder Monsieur, et l’émigration était en armes sur les frontières. Il fallait, en portant un coup audacieux, arrêter les défections imminentes, et séparer Louis de sa mère par un acte irrémissible. Richelieu réunit en conséquence, dans sa propre maison de Ruel, les juges donnés par lui à l’accusé, et leur déclara que l’état des affaires du roi exigeait qu’il prît la tête du maréchal. Il la fit couper froidement en place de Grève, après avoir eu soin d’engager la solidarité du roi par un refus formel de grâce. Danton n’a pas eu, pour justifier le 2 septembre, d’autres argumens que ceux du cardinal lorsqu’il lança cette tête comme un premier boulet contre l’ennemi.

S’il faut faire porter sur Richelieu la double responsabilité de cet assassinat politique et des injures prodiguées à sa victime dans l’écrit qui porte son nom, cet épisode de la vie du grand ministre serait un des plus compromettants pour sa mémoire ; mais ce passage n’est pas du nombre de ceux où sa main se fasse reconnaître, et, à la bassesse de ces accusations accumulées qui ne ménagent pas plus la

  1. Mémoires, liv. XXIII.