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est parfaitement libre. Épargner Montmorency après une trahison à laquelle il avait tenté d’associer les états même de sa province, c’était enseigner aux grands du royaume qu’ils pouvaient en pleine sécurité se lier au sort d’un prince assez puissant pour les protéger jusque dans sa défaite. C’était leur révéler, selon le mot heureux du cardinal, qu’en hasardant leur fortune pour le duc d’Orléans, ils la plaçaient à gros intérêt sans exposer le fonds. Cette résolution frappait d’un même coup les grands dans leur puissance et Gaston dans son honneur ; le ministre avait, en effet, la certitude que le sort réservé à Montmorency n’empêcherait pas l’accommodement si vivement imploré par le prince. Le plus sûr moyen de frapper au cœur un parti fut toujours de déshonorer son chef, et c’était atteindre ce but de la manière la plus complète que de faire tomber la tête du gouverneur du Languedoc en même temps que la clémence fraternelle du roi s’étendait sur l’instigateur de sa révolte, pour le rétablir dans ses honneurs et dans la jouissance de tous ses biens.

Presque tous les historiens ont rapporté, d’après Siri, la longue argumentation dans laquelle le cardinal expose au conseil avec une impartialité calculée les motifs sur lesquels on pouvait s’appuyer pour faire prévaloir ou le parti de la rigueur ou celui de la clémence ; mais la publication intégrale des Mémoires a révélé un fait moins connu. D’après le ministre, où suivant l’écrivain auquel il avait donné mission d’écrire, le roi seul aurait décidé l’exécution immédiate du noble condamné. L’auteur des Mémoires affirme que Richelieu opina pour la condamnation à mort sans commutation, avec déclaration royale portant que l’arrêt serait exécuté « à la première mauvaise conduite de Monsieur contre son devoir et la volonté de sa majesté. » Ici se révèle l’homme tout entier. Pour conquérir une importante garantie de plus, Richelieu n’hésite pas à violer tous les principes du droit et de l’humanité. Il prétend faire dépendre du fait d’un tiers l’exécution d’un arrêt criminel, et il ne lui répugne pas de préparer au condamné une position d’attente plus atroce que la mort même. Aux yeux du cardinal, la justice est absorbée par la nécessité politique, idée funeste qui est la grande tentation et la pierre d’achoppement de l’homme d’état. La mort du duc de Montmorency acheva l’œuvre de la soumission des grands, comme l’habile expédition du Languedoc et du Vivarais avait terminé la lutte contre les réformés. À partir de ce jour, la pensée de Richelieu ne rencontra plus d’obstacle, et, s’il eut à frapper, il faut reconnaître qu’il n’eut plus à vaincre. Aussi toute son attention se porte-t-elle