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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

navires[1], trop faibles pour repousser la moindre attaque, pour résister à la moindre violence, ils fuient de bien loin l’approche d’une voile étrangère, dans la crainte qu’un équipage, se trouvant à court de vivres, ne vienne sans façon enlever la provision d’eau qu’ils conservent dans de grandes jarres de terre liées par le cou au pied des mâts, le riz et les poissons secs dont ils font leur nourriture exclusive. Comprendre ce que marque la boussole est une science fort rare parmi ces naïfs navigateurs ; le matelot n’est à bord que pour le service des voiles, il laisse le soin de gouverner à deux timoniers (soukannis, du mot arabe soukan, gouvernail), qui se relèvent alternativement et font, aux approches des terres, l’office de pilotes. On reproche à ces choulias, aux musulmans surtout, de voler parfois des enfans sur la côte pour en faire des mousses ; il est certain que des perquisitions dirigées par la police des ports ont amené la découverte de bien des jeunes boys dont le capitaine ne pouvait légitimer la provenance.

Tranquebar, Sadras, Masulipatam, Pipley, Balassore, tous les lieux jadis florissans lors de la rivalité des nations européennes, sont aujourd’hui fréquentés par les navires choulias ; là où le commerce déchu n’appelle plus les trafiquans chrétiens, les Hindous arrivent pour glaner ce qui reste. On les voit aussi à Pondichéry, à Madras, où ils se placent en avant des dônis et surtout le long du Gange, à Calcutta, qui est leur station principale. La mauvaise saison les disperse, comme les bateaux de la côte, dans leurs ports respectifs ; ceux qui rentrent au Bengale tâchent de faire la contrebande de sel en se glissant dans le fleuve, du côté de l’Orissa, par des passes négligées à cause des dangers qu’elles présentent ; mais la surveillance active des goëlettes à trois mâts, fines voilières, montées par des douaniers armés convenablement, déjouent leurs tentatives, à moins que ces bâtimens légers ne périssent durant la croisière, ce qui n’est pas sans exemple. Quand les rafales violentes du sud-ouest annoncent le renversement de la mousson, la navigation des choulias cesse donc dans tout le golfe, précisément à l’époque où celle des Européens devient plus facile ; chaque équipage vient, pour ainsi dire, poser son navire sous les cocotiers de son village, à l’abri des inondations ; tandis que la récolte se développe sous l’influence d’une pluie bienfaisante, la corneille fait son nid sur les hunes, le milan s’établit

  1. On estime qu’il faut trois lascars de Bombay et cinq de Calcutta pour équivaloir à un bon matelot européen.