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liorations dont on lui fut redevable est l’établissement de la grande route centrale qui mit en communication journalière les deux caps jusqu’alors étrangers l’un à l’autre, et maintenus par cela même dans un état de rivalité haineuse.

À la mort de Charles-Félix, en 1831, la couronne passa à la branche de Savoie-Caignan dans la personne du roi Charles-Albert, qui occupe encore le trône en ce moment. Le règne de ce prince a été signalé par la réforme la plus importante qui eût été tentée depuis l’avénement de la maison de Savoie, l’abolition de la féodalité. Cette réforme, ou, pour mieux dire, cette révolution fondamentale, a facilité beaucoup d’améliorations de détail. Le droit d’asile, accordé autrefois aux églises, a été révoqué ; les bandits n’ont plus de refuges que dans les montagnes du centre ; l’usage des armes à feu a été prohibé, bien que les montagnards et tous ceux qui ont quelque ennemi à craindre n’en aient pas moins gardé leurs redoutables carabines. De toutes les institutions vieillies, la représentation nationale confiée aux trois ordres, la dîme ecclésiastique et les corporations sont les seules qui subsistent. Le roi Charles-Albert connaît toute l’importance de la Sardaigne ; ses visites dans l’île ont été fréquentes, sa sympathie pour cette partie de ses états est hors de doute. Eh bien ! même sous un prince éclairé et bienveillant, la Sardaigne n’échappe pas à cette loi fatale qui la condamne à être sacrifiée. C’est que la position des princes de la maison de Savoie exige une grande circonspection. Les états réunis sous leur couronne ont des intérêts rivaux, opposés, prompts à s’alarmer, et d’une âpreté inquiète qui ne transige point. Gênes et le Piémont ont une importance prédominante, tandis que la Sardaigne n’a pas même place dans les conseils de la couronne. Le Piémont, c’est l’armée ; Gênes, c’est le commerce : l’un donne la force, l’autre la richesse. Le Piémont a deux millions six cent mille habitans ; la Sardaigne, avec ses cinq cent quinze mille ames, est moins peuplée que la pauvre Savoie. Les revenus des divers états sardes dépassent soixante millions ; celui de la province maritime n’atteint pas trois millions et demi. Ces chiffres en disent assez. Il est évident que les princes qui se parent du titre de rois de Sardaigne sont, avant tout et forcément, les rois du Piémont. La Sardaigne n’est qu’une colonie, qu’une province d’outremer qui ne doit en rien gêner la métropole, et les inspirations de la bienveillance royale en faveur de cette possession secondaire ne sauraient être écoutées que lorsqu’elles n’alarment aucun des états continentaux.

En sera-t-il toujours ainsi ? La régénération, la prospérité de la