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LA SARDAIGNE.

pendant quinze ans, à la suite de notre grande crise révolutionnaire. Les souverains légitimes, menacés par un radicalisme impatient, vaguement inquiets de l’avenir, ne trouvant aucun point d’appui dans l’opinion publique, se cramponnaient instinctivement aux ruines du passé. La révolution de 1830, et ce fut sa plus grande gloire, vint enfin justifier la liberté du reproche d’anarchie, et la plupart des gouvernemens absolus comprirent, par notre exemple, qu’il vaut mieux diriger le progrès que s’épuiser en efforts pour arrêter son cours irrésistible.

En 1836, rassuré sur l’état politique de l’Europe, et voyant la tranquillité rétablie dans le Piémont comme dans le reste de l’Italie, le roi Charles-Albert jugea l’heure propice pour entreprendre la réforme du système féodal. Un premier décret ordonna la réunion à la juridiction royale de toute juridiction féodale ; un second abolit les corvées et le transport des grains. D’autres décrets, se succédant rapidement, prescrivirent aux seigneurs de déclarer leur revenu annuel par chaque commune, créèrent une commission pour le rachat des divers droits féodaux, et instituèrent enfin un conseil d’appel, siégeant à Turin, pour décider en dernier ressort sur l’estimation des prestations féodales, dont les décrets royaux ordonnaient l’abolition moyennant un jute dédommagement.

La compensation établie en faveur des seigneurs sardes fut une indemnité immédiate soit en biens-fonds, soit en numéraire, ou une inscription de rentes sur l’état. À cet effet, un décret établit une nouvelle rente de 250,000 livres sardes, et une allocation annuelle fut consacrée à l’amortissement de cette dette. La plupart des feudataires se trouvent en possession d’un revenu liquide et assuré, à la place d’un revenu incertain. Les communes, au contraire, passèrent brusquement des mains de leurs seigneurs aux mains du fisc : au lieu de payer l’impôt en nature, il fallut le payer en numéraire, dans un pays privé de débouchés et de capitaux. L’indulgence introduite, à la longue, dans la perception d’un droit qui cherchait à se faire excuser, fit place aux exigences inflexibles de la cote foncière, et le mécontentement public, en accusant d’exagération l’estimation des redevances féodales, taxa de partialité en faveur des seigneurs le conseil d’appel siégeant à Turin. La réforme qui devait consacrer l’émancipation du paysan sarde et l’affranchissement de la terre qu’il cultivait, fut donc pour beaucoup de communes un embarras avant de devenir un bienfait.

Il y eut aussi des fiefs, tels que celui du marquis d’Arcaïs, qui fu-