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rent rachetés et répartis entre les particuliers et les communes. Le roi avait l’espoir, en rendant l’état acquéreur d’une partie des terres que l’insouciance des seigneurs laissait en friche, de mettre bientôt en valeur un sol fertile qui n’attendait que la culture pour produire. Afin de hâter ce résultat, il fit appel à l’industrie un peu aventureuse des compagnies, auxquelles on offrit d’immenses terrains à défricher avec les chances des plus grands bénéfices. Toutefois, le cabinet de Turin, mis en méfiance par les évènemens de Naples, ne voulut traiter avec ces compagnies que par l’intermédiaire des sujets sardes afin d’éviter des difficultés semblables à celles qu’éleva, en 1840, le gouvernement anglais dans l’affaire des soufres de la Sicile. Effrayées par cette clause, les compagnies ne se présentèrent que timidement et en petit nombre : celles qui entreprirent enfin des défrichemens ou des dessèchemens de marais trouvèrent dans un climat mortel aux étrangers un obstacle qu’elles n’avaient pas prévu. Les capitaux s’éloignèrent, le découragement éclata, et je doute qu’on puisse citer beaucoup d’entreprises de ce genre qui aient eu un heureux succès, si ce n’est peut-être la tentative faite récemment par une Société française pour l’exploitation des forêts de chênes de Scano et de San-Leonardo. Quelques milliers d’arbres abattus dans ces forêts et transportés à Toulon ont été reconnus éminemment propres aux constructions navales.

En résumé, les réformes entreprises par le roi de Sardaigne ont été exécutées avec un grand esprit de suite et une vigueur qui fait honneur au caractère de ce prince, mais elles n’ont point encore porté les fruits qu’il a droit d’en attendre ; elles ont même répandu un certain esprit de mécontentement dans le pays, mécontentement injuste et déraisonnable. Les innovations ont été décriées comme illusoires par les uns, comme périlleuses et inopportunes par les autres. Ceux qui attaquaient hier l’ancien ordre de choses le regrettent aujourd’hui, en lui attribuant des mérites inaperçus jusqu’à présent. Ce sont là des difficultés qu’il faut prévoir, quand on s’avance dans la voie épineuse des réformes. C’est la forêt sombre où pénétra Renaud. Dès qu’on lève la hache sur ces arbres séculaires qui épuisent le sol, mille fantômes surgissent pour les défendre. Heureux celui dont le cœur ne faiblit point en ce moment d’épreuve !

En résignant ses droits féodaux, la noblesse n’a rien perdu de ses prérogatives sociales. Une démarcation nettement tranchée la sépare encore du reste de la population. La caste nobiliaire se subdivise en trois catégories bien distinctes : les seigneurs ou feuda-