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châtiment de l’exorbitante fécondité de l’écrivain. À part Mademoiselle de Clermont, qui, dans la longue série des échecs littéraires de Mme de Genlis, est un vrai coup de partie, et qui vient se placer avec naturel et charme non loin des romans de Mme de Lafayette, rien dans cette bibliothèque due à une seule plume n’est destiné à survivre, pas même Mademoiselle de La Vallière, malgré tout l’intérêt répandu dans ce roman et dans quelques autres de l’auteur, qui, sous tous les rapports, valent bien des romans à grands succès de ce temps-ci. Les ouvrages de Mme de Genlis déjà frappés du coup qui attend inévitablement les autres sont précisément ceux auxquels l’auteur attribuait le plus d’importance, entre autres son livre de l’Influence des Femmes sur la littérature française. La postérité, qui est déjà venue, a raison. Que penser en effet de l’esprit critique d’un écrivain qui refuse du talent à Mme de Staël et à Fénelon ? À la rigueur, chez une organisation féminine aux impressions très vives, ces jugemens, tant ils sont ridiculement exagérés, pourraient passer pour des caprices, et n’impliqueraient pas une absence totale de goût littéraire et de profondeur, si le reste du livre ne venait confirmer amplement la première impression. On pourrait encore être indulgent pour les prétentions de Mme de Genlis à la critique (où sont les femmes qui y ont excellé ?), si elle relevait son talent par la peinture vraie des mœurs et l’étude quelque peu profonde de l’ame. Mais non, et l’on s’étonne qu’une femme d’esprit, jetée au milieu de la plus grande société dès sa première jeunesse, et qui y a mené une si longue carrière, soit restée un observateur si superficiel, et n’ait jamais vu les passions humaines qu’à la surface ? On a dit que sa vanité y était pour beaucoup, et que ses ridicules prétentions aristocratiques, ne lui laissant voir le monde qu’à travers le prisme des préjugés, et lui faisant croire que tout l’univers était dans un salon à la Louis XV, l’avaient empêchée de voir le fond des cœurs et le fond des choses. La vanité, pas plus que le temps, ne fait rien à l’affaire, et Saint-Simon, autrement imbu que Mme de Genlis des préjugés aristocratiques, était un terrible observateur. C’est une erreur sans doute de croire que tout l’univers est dans un salon à la Louis XIV ou à la Louis XV ; cependant si tout l’univers n’est pas là, il faut avouer qu’il y a beaucoup de monde, et que l’on peut encore, dans cet espace étroit, faire de grandes découvertes, pourvu qu’on soit doué du vrai talent d’observation, que n’avait pas Mme de Genlis. Ses peintures du monde manquent donc d’originalité ; où elle a été faible surtout, où elle a montré peu de portée, c’est lorsqu’elle a