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ATHÈNES ET LA RÉVOLUTION GRECQUE.

daient au débarcadère et portaient à l’instant au vaisseau amiral tout invité qui se présentait. Les apprêts de la fête avaient été ordonnés avec un bon goût remarquable. La reine désirait voir un vaisseau français : il fallait le lui montrer dans sa plus belle parure, c’est-à-dire prêt à combattre. Aussi, de tous côtés, n’apercevait-on que des appareils de guerre, et nulle part les préparatifs du bal qui devait avoir son tour. Une partie de l’équipage était sous les armes ; les canonniers, rangés autour des pièces, tenaient en main le refouloir ou la mèche allumée. Pour arriver à l’amiral, il fallait passer devant une haie de matelots à figures bronzées, à tournures martiales, et devant des groupes d’officiers en grand uniforme. La société était réunie, lorsqu’un coup de canon signala l’arrivée de leurs majestés. Dès que le roi eut mis le pied sur son canot, le pavillon de Grèce, rayé de bleu et de blanc, monta au grand mat de l’Inflexible et fut appuyé de cent-un coups de canon ; les tambours battirent aux champs, la musique joua une fanfare guerrière ; les bâtimens firent feu de toutes leurs batteries ; les matelots s’élancèrent dans les haubans, grimpèrent sur les vergues, et, agitant au-dessus de la fumée leurs chapeaux cirés, ils poussèrent trois hurrahs, qui retentirent comme des roulemens de tonnerre. L’amiral et le ministre de France attendaient leurs majestés au bas de l’échelle. Quand le roi Othon, en costume grec, parut sur le pont, au bruit des tambours, il sembla un peu embarrassé de sa longue personne et salua assez gauchement ceux qui l’entouraient. La reine, souriante et montrant ses dents blanches, s’avança gracieusement, suivie des dames de la cour, dont quelques-unes portaient la charmante tunique des Grecques et la toque rouge, d’où s’échappaient leurs longs cheveux noirs. Les aides-de-camp du roi, élégamment vêtus à l’albanaise, entrèrent à la suite de leurs majestés dans les beaux appartemens de l’amiral, où les personnes déjà présentées se rassemblèrent. Le pont resta presque désert ; au fracas des canons, au bruit éclatant des fanfares, succéda un instant de silence. On voyait au loin les quais couverts de monde ; au-dessus des grands mâts des vaisseaux, un énorme nuage de fumée, poussé par une molle brise, se roulait dans l’air transparent, se colorant des teintes splendides du ciel, et laissait entrevoir par intervalle à l’horizon les couleurs éclatantes d’un magnifique coucher de soleil. — La reine resta cinq minutes à peine dans les salons de la dunette, et pourtant, lorsqu’elle reparut sur le pont, tout y était changé comme par enchantement. Il n’y avait plus de cordages, plus de matelots, de guerre, et pour ainsi dire plus de vaisseau ; l’Inflexible s’était