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goût à ceux qui n’en ont pas. Si, après avoir écrit cent volumes de romans, comme M. de Balzac, par exemple, on éprouve le désir de changer, pour ainsi dire, d’air et de lieu, et qu’épuisé, n’en pouvant plus, om vienne demander au théâtre un sang nouveau pour des veines appauvries, on court après un miracle qui ne s’accomplira pas, cela s’est vu. Un mourant ne guérit point parce qu’il change de lit et de chambre : ce désir de changement est même d’un mauvais augure. Disons que M. Gozlan a saisi le moment favorable, et n’a pas attendu qu’il fût trop tard. Assez de parties vigoureuses attestent, dans son nouveau drame, que, loin d’être un romancier aux expédiens qui tire à vue sur le spectateur, parce que le lecteur ne veut plus de son papier, c’est un écrivain jeune encore, plein de ressources, qui cherche la meilleure expression possible de son talent, et qui finira par la trouver. En attendant, Ève, malgré des imperfections que nous n’avons pas voulu dissimuler, se distingue par des qualités d’invention et de style qui assignent à ce drame une place à part. On dit que le prochain ouvrage de M. Gozlan sera une comédie. Tant mieux ! Nous lui promettons un grand succès si, ne perdant rien de son esprit, il consent à devenir plus logique et plus simple.


P. L.

— L’Opéra a représenté lundi soir Don Sébastien de Portugal, partition due encore à l’inépuisable fécondité de M. Donizetti. Nous n’entreprendrons pas aujourd’hui l’examen de cet ouvrage : le nom de l’auteur, la prospérité d’un théâtre attachée à son succès, demandent à tous égards une appréciation impartiale et sérieuse, un jugement approfondi. Ce n’est point à une première audition, au milieu du fracas de l’orchestre et de l’indécision craintive des chanteurs, que le véritable mérite d’une œuvre peut se révéler ; le détail échappe à l’analyse, ce n’est donc que sur l’ensemble que nous donnerons notre opinion.

Il serait inutile de renouveler pour Don Sébastien le reproche, si souvent adressé à M. Donizetti, sur la facilité déplorable avec laquelle il se complaît à monnoyer l’une des organisations musicales les mieux douées. Puisqu’il est bien avéré qu’en inondant nos théâtres lyriques de ses productions, M. Donizetti ne fait que céder à l’inspiration qui le sollicite, il faut en prendre son parti et accepter ses œuvres pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles devraient être. D’ailleurs sommes-nous bien en droit de nous plaindre ? Si M. Donizetti n’écrivait pas quatre partitions par an, que deviendraient l’Opéra et les Italiens ? Où sont les compositeurs capables d’alimenter nos deux premières scènes ? M. Halévy seul, tous les trois ou quatre ans, arrive chargé d’un gros opéra laborieusement conçu ; M. Auber a consacré à tout jamais ses charmantes compositions à un cadre plus restreint ; pour M. Meyerbeer et son Prophète, ils voyagent depuis si long-temps l’un portant l’autre, qu’on ne doit guère se bercer d’un espoir si souvent déçu. Quant à MM. Adam, Thomas et consorts, il n’y faut pas même penser.