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attendent en vain, car l’ardeur du prédicant croît chaque jour. Alors les querelles d’intérieur commencent dans les familles ; les hommes veulent empêcher les femmes d’aller au prêche ; comme on pense, les femmes ne cèdent pas facilement, et voilà une source continuelle de désordres sous le toit conjugal. Mais cet état de choses a un terme. Un jour, les hommes se soulèvent, le presbytère est entouré, on lance des pierres ; le pasteur s’enfuit en vrai martyr, et le réveil finit par une émeute.

Le livre de Mme de Gasparin est empreint de la couleur la plus exagérée du réveil, et dans toutes les questions qu’il traite, il apporte une inflexibilité absolue de doctrines. Le rigorisme éclate à chaque page, et, quoique l’auteur consente à le voiler quelquefois pour faire quelques concessions à l’esprit du siècle, on le sent, on le respire partout, et on est peu surpris lorsque Mme de Gasparin laisse échapper cette exclamation : « Plût à Dieu que la femme restât éternellement étrangère au monde ! » Ce qui équivaut à faire des vœux pour que toutes les femmes vivent en recluses. Si les caprices passionnés de Mme de Gasparin devenaient des lois, la société ressemblerait bientôt à un couvent, car une femme, dit-elle, est à moitié perdue lorsqu’elle a ri à une comédie de Molière, ou qu’elle n’a pas pleuré d’indignation en assistant à un ballet. On croirait que ces emportemens de puritanisme sont d’un autre âge, et datent de ces jours où tout instrument de musique était interdit à Genève, si l’on ne savait qu’ils sont dus à l’intolérance de la jeunesse. Pour les esprits bien faits, la vie est une école d’indulgence, et si Mme de Gasparin n’avait pas écrit son livre, elle ne l’écrirait pas dans quelques années. Qui sait d’ailleurs ? Chez certaines ames, le rigorisme est un déguisement de la tendresse, et si la critique pouvait pénétrer dans l’intérieur de la conscience, elle serait peut-être désarmée ; malheureusement elle ne juge que les résultats.

L’auteur du Mariage au point de vue chrétien a traité son sujet dans toute son étendue, et n’a pas voulu laisser un seul point de l’union conjugale qu’elle n’explorât avec une attention scrupuleuse, et qu’elle n’essayât de régénérer. Il nous est impossible de suivre Mme de Gasparin à travers toutes ses utopies méthodistes ; mais que penser, par exemple, de ce qu’elle entend par amour et intimité dans le mariage ? Que penser du terrible ordre du jour conjugal auquel il faut se soumettre ponctuellement, tout irréalisable qu’il soit, sous peine d’être des cœurs corrompus et dégradés ? L’amour est la base