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ses ruines. On l’imite donc, et parce qu’elle est belle, et surtout parce qu’elle est nouvelle ; on l’imite avec liberté, avec esprit, avec imagination, mais sans vraie grandeur ; car toute imitation ou tout effort sans un but et sans une direction bien marquée ne conduit à rien de grand. Le génie, pour se déployer à son aise, a besoin d’un ordre de choses défini et déterminé, qui l’inspire et qu’il représente. Il s’agite en vain dans le vide, et ne produit que des œuvres d’un caractère indécis et d’une beauté douteuse.

Hâtons-nous, d’appliquer ces considérations générales à la philosophie.

La philosophie grecque et latine a vécu douze siècles, et elle a laissé des monumens immortels, à la fois divers et harmonieux, qui tous, au milieu des différences les plus manifestes, réfléchissent le même caractère. La philosophie du moyen-âge qui lui succède, la scolastique, a son caractère aussi, parfaitement déterminé : achevée et accomplie en son genre, elle a son commencement, ses progrès et sa fin, sa barbarie, son éclat, sa décadence ; son époque classique est le XIIIe siècle avec des saints pour philosophes, et avec ces travaux gigantesques, inspirés du même esprit, empreints du même caractère, des mêmes beautés et des mêmes défauts qui se voient encore dans l’architecture et les cathédrales de ce grand siècle. La philosophie moderne, née en 1637 et bien jeune encore, a déjà sa grandeur et son unité cachée, mais réelle ; j’entends d’abord sa méthode, qui est à peu près la même dans toutes les écoles. Entre la philosophie moderne et la philosophie scolastique est celle qu’on peut appeler à bon droit la philosophie de la renaissance, parce que, si elle est quelque chose, elle est surtout une imitation de l’antiquité. Son caractère est presque entièrement négatif : elle rejette la scolastique ; elle aspire à quelque chose de nouveau, et fait du nouveau avec l’antiquité retrouvée. À Florence, on traduit Platon et les Alexandrins ; on fonde une académie pleine d’enthousiasme, dépourvue de critique, où l’on mêle, comme autrefois à Alexandrie, Zoroastre, Orphée, Platon, Plotin et Proclus, l’idéalisme et le mysticisme, un peu de vérité, beaucoup de folie. Ici on adopte la philosophie d’Épicure, c’est-à-dire le sensualisme et le matérialisme ; là, le stoïcisme, la encore le pyrrhonisme. Si presque partout on combat Aristote, c’est l’Aristote du moyen-âge, l’Aristote d’Albert-le-Grand et de saint Thomas, celui qui, bien ou mal compris, avait servi de fondement et de règle à l’enseignement chrétien ; mais on étudie encore, on invoque le véritable Aristote, et, à Bologne par exemple, on le