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LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

tourne contre le christianisme. En fait, cette courte époque ne compte aucun homme de génie qui puisse être mis en parallèle avec les grands philosophes de l’antiquité, du moyen-âge et des temps modernes ; elle n’a produit aucun monument qui ait duré, et, si on la juge par ses œuvres, on peut être avec raison sévère envers elle. Mais c’est l’esprit du XVIe siècle qu’il faut considérer au milieu de ses plus grands égaremens. La philosophie de la renaissance a préparé la philosophie moderne : elle a brisé l’ancienne servitude, servitude féconde, glorieuse même tant qu’elle était inaperçue et qu’on la portait librement en quelque sorte, mais qui, une fois sentie, devenait un insupportable fardeau et un obstacle à tout progrès. À ce point de vue, les philosophes du XVIe siècle ont une importance bien supérieure à celle de leurs ouvrages. S’ils n’ont rien établi, ils ont tout remué ; la plupart ont souffert, plusieurs sont morts pour nous donner la liberté dont nous jouissons. Ils n’ont pas été seulement les prophètes, mais plus d’une fois les martyrs de l’esprit nouveau. De là sur leur compte deux jugemens contraires, également vrais et également faux, parce qu’ils sont également incomplets. Quand Descartes et Leibnitz, les deux grands philosophes du XVIIe siècle, rencontrent sous leur plume les noms des penseurs aventureux du XVIe, moitié vérité, moitié calcul, ils les traitent fort dédaigneusement ; ils ne veulent pas être confondus avec ces farouches révolutionnaires, et ils oublient que, sans eux peut-être, jamais la liberté raisonnable dont ils font usage, jamais le bill des droits de la pensée n’eût été possible. D’autre part, il y a encore aujourd’hui des brouillons et des utopistes qui, confondant une révolution à maintenir avec une révolution à faire, nous ramènent, dans leur audace rétrospective, au berceau même des temps modernes, et nous proposent pour modèles les entreprises déréglées où s’est consumée l’énergie du XVIe siècle. Pour nous, nous croyons être équitable en faisant peu de cas des travaux philosophiques de cet âge et en honorant leurs auteurs : ce ne sont pas leurs écrits qui nous intéressent, mais leur destinée tout entière, leur vie et surtout leur mort. L’héroïsme et le martyre même ne sont pas des preuves de la vérité : l’homme est si grand et si misérable qu’il peut donner sa vie pour l’erreur et la folie comme pour la vérité et la justice ; mais le dévouement en lui-même est toujours sacré, et il nous est impossible de reporter notre pensée sur la vie agitée, les infortunes et la fin tragique de plusieurs des philosophes de la renaissance, sans ressentir pour eux une profonde et douloureuse sympathie.