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LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

parce qu’elle le veut, et par cela seul qu’elle veut être raisonnable. Transportons ceci à Dieu. Dieu, par sa raison, et surtout (je me hâte de le dire avec Platon[1]), par sa bonté, a vu qu’il était bon de créer le monde et l’homme ; en même temps, il était libre de le créer ou de ne le créer pas, et de ne pas suivre sa raison et sa bonté ; mais il a suivi l’une et l’autre, parce qu’il est la raison et la bonté même. Dans celui où tout est infini, l’intelligence, la bonté et la liberté sont également infinies, et dans celui qui est l’unité suprême, elles s’unissent infiniment, de telle sorte qu’il est impie de placer dans la liberté divine les misères de nos incertitudes et nos luttes intérieures. Dans l’homme, la diversité des pouvoirs de l’ame se trahit par la discorde et le trouble. Les différens pouvoirs, l’intelligence, la bonté ou l’amour, et la libre activité, sont déjà nécessairement dans l’auteur de l’humanité, mais portées à leur suprême puissance, à leur puissance infinie, distinctes et unies tout ensemble dans la vie de l’éternelle unité. La théodicée est entre l’écueil d’un anthropomorphisme extravagant et celui d’un déisme abstrait. Le vrai dieu est un dieu vivant, un être réel, dont tous les attributs distincts se développent conformément à sa nature infinie, sans effort et sans combat. Ôtez l’intelligence divine, la conception du plan de ces innombrables mondes est impossible. Ôtez à Dieu la bonté et l’amour, la création devient superflue à qui n’a besoin de rien et se suffit à lui-même. Ôtez à Dieu la liberté, le monde et l’homme ne sont plus que le produit d’une action fatale et en quelque sorte mécanique, comme la pluie qui tombe du haut des nuages, ou comme l’eau qui découle de sa source. L’homme libre ne peut avoir pour cause qu’une cause libre ; l’homme capable d’aimer a un père qui aime aussi ; l’homme doué d’intelligence atteste une intelligence suprême. Cette induction si simple et si solide, empruntée à une psychologie sévère, et fondant une théodicée sublime ; cette induction, si vieille dans l’humanité, si récente dans la science, et encore si violemment combattue par des adversaires différens, il ne faut pas la chercher au XVIe siècle et dans Vanini. Notre philosophe s’égare donc plus d’une fois dans le labyrinthe des difficultés, des objections, des réponses accumulées sur la création. Au fond, il nie la liberté divine, et cela par la confusion déplorable de l’intelligence et de l’action. Il voit bien que Dieu a nécessairement conçu, comme convenant à sa sagesse et à sa bonté, de créer un monde qui portât quelques signes de lui, et surtout un être fait à son image ; mais de cette

  1. Voyez le Timée, tome XII de notre traduction.