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pare ? Avec des précautions habiles, on pourrait vivre dans le calme, sinon dans le bonheur, tandis qu’en se voyant à chaque instant de vie, on se froisse sans le vouloir ; tout s’aggrave alors, tout s’exagère. Les défauts, qu’un peu de perspective diminuait, paraissent plus grands qu’ils ne sont réellement ; tout est matière à bouderies et à querelles, et, de bouderies en querelles, on descend une pente qui conduit à la haine, le plus grand des malheurs. Dans la plupart des cas, l’habileté consiste à tourner l’écueil, et Mme de Gasparin ordonne impérieusement de venir s’y briser. — La haine ! voilà le résultat des théories de l’auteur pour les époux qui s’estimaient sans amour, et qui vivaient paisiblement dans un système de concessions mutuelles ! Pour ceux qui s’aiment, le résultat est l’exagération de l’amour, c’est-à-dire un effrayant égoïsme.

Toutes les théories du Mariage au point de vue chrétien sont pleines de tempêtes. Ainsi l’auteur, logique dans ses principes sur l’intimité, veut que la femme, lorqu’elle ressentira dans son cœur une passion illégitime, en fasse la confidence au mari. La confidence au mari ! Comment l’auteur n’a-t-elle pas vu les conséquences désastreuses de cette démarche ?

On aime, on se croit aimé ; on vit dans ce doux et enivrant état de l’ame qui résulte d’une grande affection partagée. L’avenir se déroule devant vous sans que vous aperceviez le moindre point noir à l’horizon. On prend soin de sa fortune et de ses affaires comme en se jouant, car tout travail est facile à l’époux aimé. On se sent revivre avec une indicible joie dans ces gais enfans qui jouent autour de leur mère ; on sent quelque chose d’infini au fond de son cœur, où il semble que le ciel soit descendu. Mais un jour voilà que l’épouse en pleurs se jette dans vos bras, elle est pâle et tremblante, et, au milieu de sanglots étouffés, elle laisse échapper de cette bouche, où vous espériez que votre nom seul serait toujours murmuré avec amour, un aveu, un terrible aveu, elle en aime un autre, et, ne se croyant pas la force de se sauver elle-même, elle vient vous demander votre appui contre son propre cœur. Vertueuse et fidèle, mais redoutant sa faiblesse, c’est la peur et non l’amour qui l’a jetée dans vos bras ; elle n’a prononcé qu’un mot, ce mot a entr’ouvert un abîme, et de ce bonheur immense que vous possédiez il n’y a qu’un moment, il ne vous reste déjà plus que le souvenir. Désormais une image, une impitoyable image vient se placer entre vous et cette épouse qui pourtant n’est pas parjure, et murmure ironiquement à vos