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Christ, il ne connaissait point de Dieu ; il attribuait tout au hasard, il adorait la nature, comme la mère excellente et la source de tous les êtres : c’était là le principe de toutes ses erreurs, et il l’enseignait avec opiniâtreté à Toulouse, cette ville sainte. Et comme les nouveautés ont de l’attrait, surtout dans la première jeunesse, il eut bientôt un grand nombre de sectateurs parmi ceux qui venaient de quitter les bancs de l’école. Italien de nation, il avait fait ses premières études à Rome, et s’était appliqué avec un grand succès à la philosophie et à la théologie ; mais étant tombé dans l’impiété et dans le sacrilége, il souilla son caractère de prêtre en publiant un livre infâme intitulé : Des Secrets de la Nature, où il ne rougit pas de proclamer la nature la déesse de l’univers. Réfugié en France pour un crime dont il avait été accusé en Italie, il vint à Toulouse. Il n’y a point de ville en France où la loi soit plus sévère envers les hérétiques ; et quoique l’édit de Nantes ait accordé aux calvinistes une protection publique, et les ait autorisés à commercer avec nous et à participer à l’administration, jamais ces sectaires n’ont osé se fier à Toulouse ; ce qui fait que, seule parmi toutes les villes de France, Toulouse est exempte de toute hérésie, n’ayant donné le droit de cité à personne dont la foi soit suspecte au saint-siége. Vanini se cacha pendant quelque temps mais la vanité le poussa à mettre d’abord en question les mystères de la foi catholique, puis à s’en moquer ; et nos jeunes gens d’admirer le novateur : car ce qui leur plaît, ce sont les nouveautés, celles surtout qui ont un petit nombre d’approbateurs. Ils admiraient tout ce qu’il disait, l’imitaient, s’attachaient à lui. Il fut accusé de corrompre la jeunesse par des dogmes nouveaux. Il fit d’abord le catholique orthodoxe, et gagna du temps ; il allait même être relâché, faute de preuves suffisantes, lorsqu’un gentil homme nommé Francon, d’une haute probité, comme cela seul le marque assez, déposa que Vanini lui avait souvent nié l’existence de Dieu, et s’était moqué des mystères de la foi chrétienne. On confronta le témoin et l’accusé ; Francon soutint ce qu’il avait avancé. Vanini est amené à l’audience suivant la coutume, et, étant sur la sellette, on lui demande ce qu’il pense de Dieu. Il répond qu’il adore un seul Dieu en trois personnes, tel que l’adore l’église, et que la nature elle-même prouve évidemment qu’il y a un Dieu. En disant cela, ayant par hasard aperçu à terre une paille, il la ramasse, et la montrant aux juges : « Cette paille, dit-il, me force à croire qu’il y a un Dieu ; » puis, arrivant à la Providence, il ajoute : « Le grain jeté en terre semble d’abord languir et mourir ; il tombe en pourriture ; puis il blanchit, il verdit, sort de terre, s’accroît insensiblement, se nourrit de la rosée du matin, se fortifie de la pluie qu’il reçoit, s’arme d’épis pointus qui chassent les oiseaux, s’arrondit et s’élève en forme de tuyau, se couvre de feuilles, jaunit tout-à-fait, baisse la tête, languit et meurt ; on le bat, et le fruit étant séparé de la paille, celui-ci sert à la nourriture de l’homme, celle-là à la nourriture des animaux créés pour l’usage du genre humain. » D’où il concluait que Dieu était l’auteur de la nature. Si l’on objecte que la nature est la cause de tout cela, il remontait du grain de blé au principe qui l’a produit, en argumentant de