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MORALISTES DE LA FRANCE.

excuser son ami sur ce méfait, que l’influence du lieu où il écrivait alors. Lorsqu’on entre au Vatican, qu’aperçoit-on en effet dès la grande salle d’antichambre ? La Saint-Barthélemy peinte et Coligny immolé.

Et en cette opinion extrême, n’admirez-vous pas comme Naudé et de Maistre se rencontrent ? le grand croyant et le grand sceptique ! c’est le cercle ordinaire, le manège de l’esprit humain.

Disons-le bien vite, en ceci Naudé, encore plus que de Maistre, se calomniait : cet apologiste de la Saint-Barthélemy est le même qui, à Rome, se montra si bon, si humain, si chaleureux, pour Campanella persécuté. Après vingt-sept ans de prison, ce dominicain philosophe venait d’être rendu à la liberté par la bonté d’Urbain VIII. Naudé avait toujours admiré et vénéré Campanella (ardentis penitus et portentosi vir ingenii, comme il l’appelle sans cesse), Campanella novateur et investigateur en toutes choses, en philosophie, en ordre social, conspirateur et chef de parti un moment[1], et qui du fond d’un cachot obscur retraçait et rêvait sa Cité du Soleil. Pour célébrer cette délivrance toute récente encore, Naudé adressa, en 1632, au pape Urbain VIII, un panégyrique latin imité de ceux des anciens rhéteurs Thémiste, Eumène. On sent, à ses frais inaccoutumés d’éloquence, qu’il parle au pontife lettré, au poète disert, à l’Urbanité même (il fait le jeu de mots), à celui qui, suivant son expression, a moissonné tout le Pinde, butiné tout l’Hymette, et bu toute l’Aganippe. Ce ne sont que fleurs et qu’encens, ce n’est que sucre, que miel et que rosée. Le style latin de Naudé laissa toujours à désirer pour la vraie élégance. Mais cette assez mauvaise prose poétique, cette flatterie plus que française, cette reconnaissance trop italienne, tous ces défauts du panégyrique composent, dans le cas présent, une très belle et très noble action, à savoir la défense et l’apologie aux pieds du Saint-Siége, de la science et de la philosophie, hier encore persécutées[2].

  1. « Et lorsque Campanella eut dessein de se faire roi de la Haute-Calabre, il choisit très à propos pour compagnon de son entreprise un frère Denys Pontius, qui s’étoit acquis la réputation du plus éloquent et du plus persuasif homme qui fût de son temps… etc. » (Naudé, Coups d’État, chap. IV.)
  2. Voir, dans les lettres latines de Naudé, la 31e à Campanella, et la dédicace reconnaissante que celui-ci fit à Naudé de son petit traité de Libris propriis et recta Ratione studendi. — Osons dire toute la vérité. Il existe, au tome 10 de la Correspondance manuscrite de Peiresc (Bibliothèque du roi), une lettre de Naudé qui semble donner un bien triste démenti à ces témoignages publics, à cet échange de bons offices et de magnifiques démonstrations entre lui et Campanella. Il paraît que ce dernier, après sa sortie de Rome et son arrivée en France, s’était