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MORALISTES DE LA FRANCE.

débauche, mais philosophique, et peut-être quelque chose davantage, pour être tous trois guéris du loup-garou et du mal des scrupules qui est le tyran des consciences. Nous irons peut-être jusque fort près du sanctuaire… » Naudé célébrait à sa manière, dans cette petite orgie de Gentilly, sub rosa, la prochaine dédicace de ce temple de Minerve et des Muses dont il tenait les clefs, quand, le lendemain ou le jour même de la fête, la Fronde éclata[1]. Ainsi vont les projets humains sous l’œil d’en haut, qui les déjoue. L’inscription en resta là, et le public aussi. À la seconde Fronde, ce fut bien autre chose, et, le 29 décembre 1651, le parlement rendit l’arrêt de vandalisme qui ordonnait la vente de la bibliothèque et des meubles du cardinal. Mais n’anticipons pas.

Quand Naudé vit la Fronde, il put être affligé, il n’en fut point surpris. Il avait de longue main, dans ses Rose-croix, compté sur la badauderie des Français ; dans ses Coups d’État, s’il nous en souvient (chap. IV), il avait peint la populace en traits énergiques et méprisans, que l’émeute présente semblait faite exprès pour vérifier. Si tout s’était borné à cette première Fronde, il y aurait eu plutôt encore de quoi s’en gaudir entre amis.

L’intervalle des deux Frondes fut un assez bon temps pour Naudé ; il y composa (1649) son ouvrage le plus intéressant, le plus original et le plus durable : Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin, depuis le sixième janvier jusques à la Déclaration du premier avril mil six cent quarante-neuf, ou plus brièvement le Mascurat. C’est un dialogue entre deux imprimeurs et colporteurs de mazarinades, Mascurat et Saint-Ange. Sous ce couvert, il y défend chaudement et finement le cardinal, son maître, et montre la sottise de tant de propos populaires qui se débitaient à son sujet ; puis, chemin faisant, il y parle de tout. La bonne édition du Mascurat, la seconde, est un gros in-4o de 718 pages. Le livre fait encore aujourd’hui les délices de bien des érudits friands ; Charles Nodier, dit-on, le relit ou du moins le refeuillette une fois chaque année. M. Bazin, l’historien de la France sous Mazarin, en a beaucoup profité dans son spirituel récit. Naudé, si enfoui par le reste de ses œuvres, garde du moins, par celle-ci, l’honneur d’avoir apporté une pièce indispensable et du meilleur aloi dans un grand procès historique : son nom a désormais une place assurée en tout tableau fidèle

  1. Les barricades sont précisément de la même date que la lettre de Guy Patin jour pour jour, 7 août.