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au long les académies d’Italie ; rien de plus intéressant pour les esprits académiques ; on croirait, à la complaisance du détail, que Naudé admire, qu’il se prend ; pas du tout. Prenez garde : voilà qu’à la fin, citant Pétrone sur les déclamateurs, il montre que ces façons pompeuses d’exercice littéraire ne servent au fond de rien, que les vrais grands écrivains sont de date antérieure, que les bons esprits vont à ces nouvelles académies comme les belles femmes au bal, c’est-à-dire sans en chercher autre profit que d’y passer le temps agréablement et de s’y faire voir et admirer. — Sur quoi Saint-Ange, un peu surpris du revers, dit à Mascurat : « Tu fais justement comme ces vaches qui attendent que le pot au lait soit plein pour le renverser[1]… » Voilà, en bon français, la méthode de Gabriel Naudé et des grands sceptiques.

En matière religieuse, il ne procède pas autrement, et c’est ici que le mot de sournoiserie s’applique à merveille. Ainsi, à propos de l’Alcoran, dont les paroles, dit Mascurat (page 345), sont très belles et bonnes, quoique la doctrine en soit fort mauvaise, Saint-Ange se récrie, et Mascurat répond entre autres choses : « … Joint aussi qu’il est hors le pouvoir d’un homme, tant habile qu’il soit, de connoître quelle est la religion des Turcs, soit pour la foi ou les cérémonies, par la seule lecture de l’Alcoran ; tout de même, sans comparaison toutefois, qu’un homme qui n’auroit lu que le Nouveau Testament ne pourroit jamais connoître le détail de la religion catholique, vu qu’elle consiste en diverses règles, cérémonies, établissemens, institutions, traditions, et autres choses semblables que les papes et les conciles ont établies de temps en temps, et pièces après autres, conformément à la doctrine contenue implicité ou explicité dans ledit livre. » On a le venin.

J’aime mieux citer une belle page philosophique, et même religieuse à la bien prendre, qui rentre dans une pensée souvent exprimée par lui. Il s’agit de je ne sais quel conseil (p. 229) dont Saint-Ange croit que les politiques d’alors pourraient tirer grand profit ; Mascurat répond : « Quand ils le feroient, Saint-Ange, ils ne réussiroient pas mieux au gouvernement des états et empires que les plus doctes médecins font à celui des malades ; car il faut nécessairement que les uns et les autres prennent fin, tantôt d’une façon et tantôt de l’autre : Quotidie aliquid in tam magno orbe mutatur, nova urbium fundamenta jaciuntur, nova gentium no-

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