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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

les fables milésiennes, qu’on fasse obstinément de Pétrone et d’Apulée les prédécesseurs directs de Richardson et de l’abbé Prévost, très bien ; je ne vois qu’un innocent dilettantisme d’académie savante, qu’une bonne aubaine aux fureteurs pour enchâsser curieusement leurs conjectures et leurs textes ; c’est la joie, c’est le triomphe d’un Ménage ou d’un Huet de se jouer à l’aise en ces allégations érudites. Mais les bonnes gens, les humbles lecteurs, comme nous, que ne touchent guère ces délicatesses des faiseurs de dissertations, appellent tout simplement les choses par leur nom, et, prenant la dénomination de roman dans le sens vulgaire, ne l’appliquent qu’à ces écrits de date plus récente auxquels s’est volontiers complu l’imagination des modernes. Sur ce point, les tentatives des anciens, les tentatives même du moyen-âge n’ont été, en somme, que de médiocres essais : littérature bonne tout au plus pour défrayer les loisirs de l’Académie des Inscriptions, qui oublie si volontiers qu’elle est aussi l’Académie des Belles-Lettres. Cela est vrai pour la Grèce, car le vulgaire n’est qu’à grand’peine attiré aujourd’hui vers les vieux romans byzantins par cette naïveté charmante que Longus a retenue de la plume d’Amyot ; cela est vrai pour le moyen-âge, car le gros des lecteurs ne garde précisément le souvenir des romans de chevalerie que par le roman même qui, les rendant à jamais ridicules, fut le premier et parfait modèle d’un genre qu’on peut dire inconnu jusque-là, et dont Rabelais lui-même n’avait donné qu’une fantasque ébauche : on a nommé le Don Quichotte. D’ailleurs, quand deux ou trois exceptions vraiment remarquables pourraient être notées à travers les siècles, ce n’est pas avec Daphnis et Chloé, ce n’est pas avec le Petit Jehan de Saintré qu’on pourrait constituer sérieusement l’histoire d’un pareil genre et la faire remonter arbitrairement dans le passé. Le roman (pourquoi hésiter à le dire ?) est la gloire la moins contestable, la plus originale de l’ère nouvelle : qu’on veuille bien ne point l’oublier, c’est un roman qui, presque à lui seul, a donné la popularité à la littérature espagnole et en a fait une des grandes littératures de l’Europe moderne. J’insiste à dessein sur l’importance croissante de ce genre, demeuré trop longtemps secondaire, parce que c’est cette importance précisément qui nécessite les sévérités de la critique, et qui justifie son insistance pleine de regrets à l’égard de plusieurs écrivains d’aujourd’hui engagés, selon elle, dans des voies périlleuses pour leur talent, périlleuses pour cette forme charmante du roman, chaque jour gâtée et compromise. Ce n’est pourtant pas l’exemple des maîtres, des maîtres les plus récens et les plus illustres, qui là-dessus a manqué à nos contemporains. Chez les peuples, en effet, qui nous entourent, n’est-ce pas pour le roman que semble avoir été tressée depuis long-temps la plus belle couronne de gloire ? Voici l’Allemagne : Werther, Wilhelm, Meister, ne sont-ils pas les titres les plus universellement acceptés du génie de Goethe ? Voici l’Angleterre : Walter Scott n’est-il pas le digne rival de ce Byron, qui, cédant aussi aux instincts de son temps, a appliqué le cadre du roman aux inspirations de la poésie ? Enfin, voici la vieille patrie