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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

poursuites, d’arrestations, le malheureux inventeur finit par les associer à sa découverte, qu’ils exploitent à son détriment, et avec laquelle ils gagnent des millions. Séchard, à la fin, content d’une légère indemnité, se retire avec sa femme dans un petit domaine qu’il vient d’hériter, et se console de ses déconvenues passées en faisant des collections d’entomologie.

Il n’y aurait certainement pas là matière à deux volumes, si M. de Balzac n’avait trouvé moyen, comme lui-même le dit ailleurs, de « faire de la copie » sur autre chose. L’auteur de David Séchard disperse, à travers les chapitres de son roman, de longs fragmens qui seraient mieux à leur place dans la collection des manuels-Roret. Ainsi, il y a tour à tour une théorie complète de l’art du papetier, un exposé étendu des travaux de l’imprimeur, et enfin une histoire très détaillée et très érudite de la saisie et de la contrainte par corps, laquelle ferait honneur à l’huissier le plus expert. La mise en pages et le protêt, le collage en cuve et le compte de retour, les rapports de la coquille avec le grand-raisin et la différence du billet à ordre avec la lettre de change, sont expliqués, commentés, à l’aide des terminologies spéciales. M. de Balzac montre, en particulier, sur les commandemens, les significations, les constitutions d’avoués, les saisie-arrêts, une science étendue, et qui paraît avoir été puisée dans des documens authentiques. Il y a même des pièces probantes à l’appui, lesquelles sont insérées tout au long et semblent avoir été copiées sur des originaux. David Séchard figurerait utilement dans la bibliothèque de Clichy.

Ève est la seule figure intéressante du roman, parce qu’elle est la seule honnête. L’auteur, pour peindre ce touchant caractère, a retrouvé souvent son pinceau délié d’autrefois. Quant aux personnages secondaires, ils sont tellement faux, qu’on n’en saurait accepter aucun. L’impudente et sèche friponnerie de l’avoué Petit-Claud est par trop révoltante : l’ambition, dans son intérêt même, sait ne pas se rendre si odieuse. Séchard le père, ce vieux ladre intraitable, qui vole son fils et qui l’espionne pour lui dérober sa découverte, choque aussi par l’extrême invraisemblance. Déjà, dans le Père Goriot, M. de Balzac avait montré à nu ce qui peut se glisser d’égoïsme dans l’amour paternel : la reproduction d’aujourd’hui n’est qu’une copie chargée, une caricature de ce premier type, lequel déjà était exagéré. M. de Balzac, au surplus, ne se met guère maintenant en frais d’invention. Il reprend, on le sait, ses vieux personnages et se contente de leur couper une basque d’habit et de leur mettre un peu de rouge. Ici encore, nous avons l’éternel Lousteau et l’éternel Lucien de Rubempré, le journaliste et le poète. Il paraît que c’est aujourd’hui le tour des poètes d’être exécutés par M. de Balzac. Dans le roman de David, Lucien, le frère d’Ève, devient la grande cause de ruine pour la maison Séchard : c’est que, dévalisé par une actrice, le grand poète avait fait de faux billets et tiré à vue sur son beau-frère. Séchard paya, pour ne pas déshonorer son nom. Venu à Angoulême, dans le dernier dénûment, au moment même de la déconfiture de sa famille, Lucien retrouve là