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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

se plaît surtout à décrire. Quand dans l’art on se laisse aller aux extrêmes, les contrastes ne manquent pas de nous tenter. Dans le père Séchard, on nous avait montré tout à l’heure l’amour paternel complètement anéanti par l’égoïsme, l’avidité et l’avarice ; Agathe Bridau, dans les Deux Frères, représente au contraire l’amour maternel tendre, dévoué, sublime, mais en même temps odieux, parce qu’il a des préférences. Il y a un vers magnifique dans les Feuilles d’Automne qui réfute tous ces sophismes raffinés sur l’amour maternel :

Chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier.

Cela dit tout, et M. de Balzac ne nous intéressera jamais à une mère, si bonne qu’elle soit, qui choisit entre ses enfans. Et où croyez-vous qu’aillent les préférences d’Agathe ? Est-ce au meilleur, au plus vertueux, à celui qui ne la quitte point ? pas le moins du monde. Le penchant pourtant s’expliquerait mieux, s’il en était ainsi. C’est, au contraire, le fils qui la déshonore, et qui tare son nom, c’est celui-là auquel elle revient toujours avec prédilection. Joseph est un peintre, Philippe un militaire ; le peintre est l’idéal du dévouement, de la persévérance, de la résignation ; Philippe est l’idéal du vice, de l’ingratitude, des sentimens les plus bas. Le premier débute obscurément, comme un génie patient ; le second commence avec éclat, comme un esprit violent et décidé à tout. On est à la fin de l’empire, et Philippe, très jeune encore, est déjà colonel. Mais la restauration arrive, qui lui rend les loisirs et avec les loisirs les mauvais penchans. Peu à peu Philippe Bridau devient un tapageur de café, un joueur éhonté, un escroc sans foi ni loi qui fait des trous à la lune. Se laisser nourrir par une danseuse, dérober l’argent de son frère et vendre les tableaux de prix qu’on lui a confiés pour les copier, réduire sa famille à la misère, faire mourir de douleur une vieille tante qu’il dépouille, voler la caisse du journal dont il est caissier, ce sont là des jeux pour Philippe. Cette vie de désordre et de honte se continuait depuis longtemps, quand le colonel, compromis dans une conspiration bonapartiste, fut envoyé à Issoudun, sous la surveillance de la police. Là commence une autre histoire. Philippe a précisément à Issoudun un vieil oncle nommé Rouget, le type du célibataire, tel que l’a chanté Béranger. Rouget est sous l’absolue domination de sa gouvernante Flore Brazier, laquelle a installé chez son maître, en qualité de majordome, un ancien sous-officier, ou, pour parler comme M. de Balzac, une sorte de chenapan, nommé Max, dont elle a fait son amant. Flore et Max convoitent la riche succession du bonhomme, qu’ils accaparent, qu’ils isolent, pour s’en rendre plus complètement maîtres. Philippe pourtant entreprend de détrôner l’amant de Flore, et de gagner l’héritage. Après une longue lutte, après mille complications et mille incidens, il tue Max en duel et fait épouser Flore à son oncle. Bientôt l’oncle meurt, Flore est héritière, Philippe l’épouse à son tour, et le voilà millionnaire. Revenu à Paris, il abandonne sa femme et la laisse périr de faim : pour