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route, pour ainsi dire, en se tournant le dos, ne tarderaient pas à se retrouver face à face, et l’état qui, avant tout, veut exister, avec sa puissance, son indépendance, son autonomie, l’état qui sait que son existence ne serait plus qu’une ombre, qu’une vaine apparence, le jour où il reconnaîtrait un supérieur ici-bas, l’état ne tarderait pas à dire au principe séparé : Vous empiétez sur mes droits, vous abusez de votre liberté, vous êtes un danger pour moi. Que lui opposerait-on ? Le principe de la liberté ? Mais la première des libertés, c’est la liberté du pays, c’est-à-dire son indépendance, son autonomie. À l’état seul appartiendrait donc de décider, à moins qu’on ne veuille faire de nous des vassaux. Nous avions donc raison de dire que la séparation et la liberté ne résolvaient point la question.

L’homme et la société ne se laissent pas ainsi couper en deux. L’analyse est une méthode, la synthèse c’est la réalité, et à moins qu’on ne veuille faire de la France une sorte de Paraguay, il faut admettre qu’il appartient à l’état, non de séparer les deux principes au nom d’une liberté illimitée et chimérique, mais de les coordonner et de les contenir en respectant scrupuleusement ce que chacun d’eux a de propre, de particulier, d’exclusif. Ce doit être, ce nous semble, un des bienfaits, une des gloires de la civilisation chrétienne, que la juste part faite à toute chose selon l’esprit de justice et de charité, de manière que chaque principe obtienne son légitime développement ; rien de plus, rien de moins. C’est ainsi qu’on substitue la paix à la guerre, l’harmonie des principes à leur discorde, l’esprit de l’Évangile aux passions des hommes.

Nous aussi nous voulons la liberté, nous la voulons réelle et sincère ; mais en matière si grave il importe de bien déterminer le sens des mots. De quelle liberté veut-on nous parler ? D’une liberté sans frein, absolue, illimitée ? Au profit de qui ? Du premier venu ? Mais qui voudrait d’un pareil désordre, d’une si effroyable anarchie ? Qui voudrait accorder pour l’enseignement de la jeunesse une faculté sans limites, sans règles, sans garanties, qu’on n’accorde pas pour la profession de médecin, d’avocat, de notaire, d’avoué ? L’église, qui a horreur du désordre, s’élèverait la première contre un pareil scandale ; la conscience publique en serait révoltée.

Au profit du clergé seulement ? Mais alors pourquoi ne pas employer le mot propre ? Ce n’est plus la liberté qu’on demanderait, mais un privilége, un privilége inconnu au droit public de la France, un privilége exorbitant et incompatible avec les droits de l’état.

Reste donc le système d’une liberté réglée par la loi ; c’est le système sur lequel, en principe, tous les hommes sensés, sincères, tombent d’accord. En demander d’une manière générale la réalisation, c’est demander ce que nous demandons tous ; mais ce n’est pas résoudre la question, ce n’est pas même en préparer la solution, car, encore une fois, nul ne conteste le principe. La difficulté est tout entière dans l’application, dans le mode, dans la mesure. Qu’on nous dise qu’il faut de la liberté, qu’on nous le répète sous toutes les formes, c’est bien ; mais la question n’aura pas fait un pas. Ce que nous