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REVUE. — CHRONIQUE.

des tambours voilés de crêpes et toute une grandesse en deuil escortant un catafalque princier : agréable passe-temps pour ceux qui demandent au théâtre les faciles distractions de l’après-dîner. Vous sortez de table avec l’intention d’aller entendre l’opéra nouveau, vous entrez dans votre loge, et vous trouvez pour vous bien réjouir, devinez quoi ? une chapelle ardente et des escadrons de capucins en cagoules psalmodiant l’office des morts derrière une triple haie de cierges dont la lueur blafarde se projette le long des grands murs tendus de velours noir étoilé de larmes d’argent. Ceci n’est pas gai, pensez-vous ; heureusement ce n’est pas tous les jours fête, et j’attendrai, pour revenir, qu’on ait à me montrer quelque chose de moins édifiant, à quoi le répertoire de l’Académie royale de musique vous répond par la Peste de Florence, le bûcher de la Juive, ou les trappistes de la Favorite, qui creusent tranquillement leur fosse en se chantant : Frères, il faut mourir ! Où s’arrêtera cette pompe funèbre ? Qui le sait ? De toute façon, il semble que c’était moins que jamais le cas de promener sur un théâtre ces redoutables appareils de la mort, et de faire une comédie, aux yeux d’un public désœuvré, de ces tristes insignes, naguère revêtus par d’augustes douleurs. Que si on voulait à toute force avoir un spectacle à grand fracas pour terminer cet acte, rien n’était plus facile ; il suffisait de remplacer ces simulacres de funérailles par le couronnement du nouveau roi. Remarquez qu’on n’y perdait pas une aune d’étoffe, pas un cierge, pas un capucin, et de la sorte au moins les convenances eussent été respectées. Il serait à souhaiter que la censure, qui se montre si sévère à l’égard des théâtres secondaires dans tout ce qui touche de près ou de loin au culte catholique, eût son œil un peu plus ouvert sur l’Opéra qu’elle ne le fait d’ordinaire, d’abord parce que le bénéfice comme les inconvéniens d’une loi doivent être égaux pour tous, et que nous ne comprendrions guère pourquoi, parce qu’on tient ses priviléges de Louis XIV, on se permettrait d’arborer en plein théâtre des insignes dont il n’est plus permis à d’autres d’user, même avec la plus extrême discrétion ; ensuite parce que les auteurs qui écrivent pour la scène de l’Opéra chercheraient à l’avenir leurs sujets en dehors de l’histoire ecclésiastique, et tout le monde y gagnerait.

La musique de Dom Sébastien est l’œuvre d’un maître qui désormais ne compte plus avec ses partitions. Singulière faculté que celle de M. Donizetti ! une œuvre en cinq actes lui coûte à peine le temps de l’écrire. Il va de Paris à Vienne, de Vienne à Milan, de Milan à Rome, marquant sa trace par des opéras ; comme ce personnage du conte de Perrault, il vide ses poches sur les grands chemins, et il s’en échappe, au lieu de cailloux, d’inépuisables traînées de notes qui témoignent de son passage. Avec un fonds incontestablement meilleur, une nature beaucoup plus riche, et dont c’était après tout la destinée de se dépenser ainsi à l’italienne, M. Donizetti use un peu, en musique, d’un procédé mis en œuvre dans les lettres par bon nombre d’écrivains de nos jours. Comme la prose de ces messieurs, sa mélodie déborde ; seulement il conserve sur eux l’avantage qu’étant musicien et parlant une