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LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

et que l’homme extraordinaire en qui elle se personnifie, reprenant son rôle de grand agitateur, se trouverait bientôt, comme en 1829, à la tête d’une nation ulcérée et frémissante. Au lieu de cela, par une anomalie inexplicable, l’Irlande parut voir avec tranquillité, et presque avec indifférence, la formation du nouveau cabinet. En vain les hommes qu’elle avait appris à regarder comme ses ennemis les plus acharnés, lord Lyndhurst et lord Stanley, firent partie de ce cabinet ; en vain même d’autres hommes plus rapprochés d’elle, et à ce titre plus odieux encore, M. Jackson, M. Lefroy, occupèrent sous ses yeux de hauts emplois judiciaires : rien ne sembla faire effet ; c’est tout au plus si la voix d’O’Connell, élu lord-maire, trouva quelques échos dans le pays. La voix d’O’Connell d’ailleurs avait elle-même perdu beaucoup de sa force et de son éclat. Ce n’était plus celle du tribun fougueux et éloquent qui avait donné l’émancipation à son pays, mais plutôt celle d’un magistrat épuisé, désabusé, et tendant au repos.

Telle était l’Irlande il y a un an, et, je le répète, ceux qui croient la connaître cherchaient en vain à la comprendre. On pense bien d’ailleurs que cette situation était pour le ministère et pour ses partisans un grand sujet d’orgueil et de triomphe. « Les whigs, disaient-ils, prétendaient qu’ils étaient seuls capables de gouverner l’Irlande, et que le jour où les tories arriveraient au pouvoir ce pays se soulèverait tout entier. Qu’en pensent les whigs maintenant ? Les concessions honteuses que les whigs faisaient aux agitateurs, les tories ne les ont point faites, et ils ont rompu le contrat immoral qui liait le gouvernement au chef des papistes. Cependant l’Irlande est plus paisible, plus satisfaite qu’elle ne l’a jamais été, et le chef des papistes lui-même paraît désespérer du succès. Ainsi, la grande difficulté de sir Robert Peel, cette difficulté si souvent citée, s’est évanouie rien qu’à la regarder. » À ces provocations les whigs ne répondaient rien, parce qu’ils ne savaient que répondre, et l’Irlande ne figurait plus guère que pour mémoire parmi leurs moyens d’opposition. C’était même une sorte de mot d’ordre que la question irlandaise devait cesser d’être une question de parti, et qu’il convenait de travailler en commun à l’amélioration morale et matérielle de ce malheureux pays. Quant au rappel de l’union, c’était pour les journaux de toutes les opinions un sujet habituel de raillerie et de mépris, et quand, dans les premiers jours de janvier dernier, O’Connell salua la nouvelle année du nom de l’année du rappel, ce fut à Londres un éclat de rire universel qui,