Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/892

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
886
REVUE DES DEUX MONDES.

malgré des symptômes précurseurs assez graves, se prolongea jusqu’en mai. Ainsi, le 17 janvier, un journal whig, le Globe, publiait un long article sur la folie du rappel et sur la chute complète de ce ridicule projet. « M. O’Connell, ajoutait-il, ne peut tarder à y renoncer. » Deux jours après, un journal tory, le Standard, cherchant sur quelle question l’opposition dans l’adresse pouvait proposer un amendement : « Est-ce, disait-il, sur l’Irlande, lorsque la politique des lords de Grey et Elliott a si parfaitement réussi à détruire O’Connell et le rappel. » Le 18 mars enfin, un journal radical, le Sun, se moquait du rappel et de M. O’Connell, gravement occupé, un tablier de cuir autour du corps et une truelle à la main, à poser la première pierre de la future chambre des communes irlandaises. « N’est-il pas déplorable, disait le Sun à ce sujet, qu’un homme comme M. O’Connell s’amuse ainsi à poursuivre un fantôme ridicule, au lieu de se rendre utile à son pays ? » Dans le parlement d’ailleurs, jusqu’aux premiers jours de mai, il ne se prononça pas une parole qui témoignât de la plus légère inquiétude. L’Irlande était et devait rester tranquille. C’était entre tous les hommes politiques une chose parfaitement entendue.

À Dublin, la confiance n’était guère moins grande, même au commencement de mars, quand M. O’Connell fit voter le rappel par la corporation de Dublin à la majorité de 44 voix contre 15. « M. O’Connell, dit alors l’alderman Butt, ne fait une telle motion que pour ranimer tant soit peu une question qui meurt d’inanition, une question dont la situation est désespérée, et qui ne peut vivre un mois encore. » Au lieu d’ouvrir les yeux au danger, les ultra-protestans d’ailleurs continuaient à se plaindre du gouvernement et à lui reprocher ses ménagemens pour les catholiques. Ainsi la feuille orangiste de l’Ulster accusait amèrement sir Robert Peel et lord Elliott « de s’être attachés au char du papisme, de mépriser le protestantisme et de calomnier le clergé. » Ainsi la société de l’éducation ecclésiastique (church education society) dénonçait le ministère, à cause de son plan d’éducation, comme impie et presque comme athée. Ainsi encore l’organe le plus influent des protestans, le Dublin Evening-Mail, demandait « si, après tout, le rappel ne serait pas plus favorable au protestantisme que l’état actuel. » N’est-il pas évident que le parti ultra-protestant était loin de soupçonner le véritable état des esprits et de prévoir la lutte qui se préparait ?

Je vais plus loin, et je suis disposé à croire qu’à cette époque O’Connell lui-même n’avait pas le sentiment de sa force et du grand