Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/897

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
891
LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

parle à un peuple crédule, enthousiaste, enfant, à un peuple qui veut être successivement ébloui, ému, amusé. Pour le paysan irlandais qui vient écouter O’Connell, ses défauts sont des qualités et font une partie de sa puissance. Aussi, pour trouver exemple d’une pareille action sur les hommes, faut-il peut-être remonter aux grandes prédications du moyen-âge. Ces cent ou deux cent mille Irlandais qui couvrent la colline où se dressent les hustings, O’Connell les tient dans sa main et les conduit comme il lui plaît. On les voit, selon qu’il les y invite, rire et pleurer, crier et se taire, s’agiter et se calmer. « Les repealers, dit-il un jour au dîner d’Athlone, se sont réunis pour être libres ou mourir. » Aussitôt l’assemblée entière se lève, agite ses chapeaux, et pousse de longues acclamations. Mais O’Connell reprenant : « Toute réflexion faite, on peut mettre la mort hors de question. Pour moi, j’ai toujours eu pour principe de préférer un patriote vivant à un cimetière plein de patriotes morts. » Et à ces mots l’assemblée entière se met à rire et se rassied tranquillement. « Un ministre de notre reine adorée, dit-il ailleurs, sir James Graham, a osé dire, le coquin, que les catholiques sont des parjures, et son discours a été reçu dans la chambre des communes par des acclamations bestiales ! — Une voix dans la foule : Oh ! les chiens de Saxons ! — O’Connell reprenant : Oui, mais ce sont ces chiens-là qui font des lois pour vous. Le souffrirez-vous plus long-temps ? (Acclamation générale) Voyez leur justice. Cork a 750,000 habitans et deux représentans. Galles a 800,000 habitans et vingt-neuf représentans. Un Gallois vaut-il quatorze et demi d’entre vous ? — Une voix : Pardieu non. — O’Connell : Je ne pense pas qu’un Gallois battit quatorze et demi d’entre vous. — Une voix : Pas un demi. — O’Connell : Je crois, moi, qu’un d’entre vous, avec un bon bâton, battrait quatorze et demi d’entre eux ; mais il ne s’agit pas de se battre : nous sommes trop nombreux et l’Angleterre est trop faible pour qu’on ose nous attaquer. Quant à nous, nous n’attaquons personne ; nous voulons justice, et nous l’obtiendrons pacifiquement. Il est un bruit que John Bull comprend, celui des shillings. Croyez-moi, les 3,000 livres sterling de la semaine dernière (rente pour le rappel) l’auront fait réfléchir. »

C’est ainsi qu’O’Connell joue sans cesse avec son auditoire, excitant ses passions et les retenant, et le faisant passer à volonté de la crainte à la sécurité, de la colère à l’hilarité. Dans un morceau vraiment éloquent où il parle des services qu’il a rendus à son pays et du peu de temps qui lui reste à vivre : « Je mourrai, dit O’Connell,