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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

cette doctrine avec une admirable énergie, et son école, qui professe pour la théodicée du christianisme un respect intelligent, a l’ambition d’en donner une profonde et philosophique explication. Ainsi donc, devant l’Évangile comme en face de la mythologie grecque, c’est encore le génie de Platon et celui d’Aristote qui se font la guerre, parce que la nature des choses ne change pas, parce que le fond du débat est toujours le même entre les élans de l’imagination et de la foi et les exigences absolues de la science et de la pensée.

Plus âgé que Parménide lorsque celui-ci vint à Athènes pour les grandes panathénées, Schelling, qui, à soixante-dix ans, professe aujourd’hui la philosophie à Berlin, n’a pas craint d’exposer sa vieillesse aux contradictions les plus ardentes. Peut-être toutefois, quand il se détermina à quitter Munich pour la capitale de la Prusse, ne se faisait-il pas une assez juste idée de toutes les inimitiés philosophiques qui l’attendaient. Quand il arriva, il fut reçu comme il devait l’être, et ses adversaires eurent le bon goût et l’habileté de garder un silence profond. Il put annoncer sans opposition aucune qu’il venait sur un théâtre nouveau rendre à la philosophie de plus importans services qu’il n’avait fait jusqu’à présent[1]. On prit note de cette grande promesse, et on écouta. Peu à peu, la foule d’élite qui s’était pressée au cours du doyen de la philosophie européenne s’éclaircit : on s’apercevait que les nouveautés promises ne venaient pas. Les disciples de Hegel se regardaient avec une satisfaction qui consentit quelque temps encore à rester silencieuse. Cependant toutes les paroles qui tombaient de la bouche de Schelling étaient recueillies avec soin. Enfin les attaques commencèrent. Au milieu de l’été de 1842, un professeur de l’université de Berlin, M. Michelet, hégélien érudit, ouvrit un cours sur les derniers développemens de la philosophie allemande ; c’était pour faire l’histoire de la lutte entre Schelling et l’école de Hegel, et cela se passait à quelques pas de la salle où professait Schelling. Noble exemple de la liberté académique. Dans les premiers mois de cette année, M. Michelet a livré ce cours à la publicité[2]. La polémique contre Schelling en est l’intérêt principal. C’est aux premiers écrits de son illustre adversaire que M. Michelet demande ses plus puissans moyens de réfutation. Schelling, pour échapper au reproche d’avoir changé, prétend que sa philosophie actuelle est un développement ultérieur de son sys-

  1. Discours d’ouverture prononcé le 15 novembre 1841.
  2. Entwickelungsgeschichte der neuesten Deutschen Philosophie, von Dr C.-L Michelet ; Berlin, 1843.