Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/947

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
941
DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

offrant son livre à la Sorbonne, s’appuyait sur cette parole de saint Paul aux Romains, que ce qui se pouvait connaître de Dieu avait été manifesté aux hommes, et il en tirait cette conclusion, que tout ce qui peut se savoir de Dieu peut être montré par des raisons qu’il n’est pas besoin de tirer d’ailleurs que de nous-mêmes, et de la simple considération de la nature de notre esprit[1]. On ne pouvait d’une manière plus adroite cacher l’abîme qui sépare l’Évangile du rationalisme ; mais Descartes abusait des paroles de saint Paul. Qu’a dit vraiment l’apôtre ? Ceci : « La colère divine a éclaté contre l’impiété et l’injustice des hommes, parce que, Dieu s’étant fait connaître a eux naturellement, ils n’ont pas fait usage de cette connaissance ; ils se sont égarés dans leurs vains raisonnemens, leur cœur insensé a été rempli de ténèbres, ils sont devenus fous en s’appelant sages. Alors Dieu les a livrés à leurs désirs impurs, à leur sens réprouvé[2]. » Et quelle a été la conséquence de ce triste état de l’humanité ? C’est que Dieu a résolu d’intervenir lui-même au milieu des désordres de l’homme, et de porter remède à l’insuffisance des lumières naturelles par la lumière de sa parole. Voilà le fondement du christianisme. Loin donc que saint Paul puisse être invoqué pour établir la puissance de la raison humaine, c’est dans les écrits du grand apôtre qu’elle est le plus condamnée, car elle y est toujours humiliée devant la grace et devant la foi. Laissons donc de côté la tactique de Descartes, pour ne voir que sa doctrine. Il donne à la démonstration de Dieu un éclat nouveau, mais uniquement par les forces vives de la raison. Au milieu de l’Europe catholique et protestante, Descartes établit un rationalisme formidable et fécond : il est bien moins chrétien que Platon, il est aussi anti-chrétien qu’Aristote, puisqu’il enfante Spinoza.

Nous n’ignorons pas que beaucoup de personnes inclinent à conclure que Descartes est un philosophe chrétien, parce qu’il est au plus haut degré philosophe spiritualiste. Là est l’erreur. Il y a beaucoup de façons d’être spiritualiste ; il n’y en a qu’une d’être chrétien, c’est de mettre avec saint Paul au pied de la croix tous les doctes raisonnemens de la sagesse humaine. Rendons cette justice aux jésuites, qu’ils comprirent de fort bonne heure tout ce que la philosophie de Descartes avait de contraire à la religion révélée. La compagnie qui fut instituée pour combattre Luther devait la première

  1. Épître à MM. les doyens et docteurs de la sacrée Faculté de théologie de Paris.
  2. Épître de saint Paul aux Romains, chap. I.