Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/970

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
964
REVUE DES DEUX MONDES.

après leur expulsion, il n’est pas resté trace d’eux. La Russie était à demi barbare ; les Mongols y trouvaient des steppes, ils y ont gardé les mœurs nomades, et leur rude génie, au lieu de subir l’influence du peuple vaincu, a pénétré le génie russe, qui porte encore la puissante empreinte de leur domination.

Les ducs de Moscou furent les premiers à se soumettre. C’étaient eux qui devaient finir par commander à tout l’empire. Leur pouvoir était plus énergiquement constitué que celui des autres princes russes. Ils régnaient dans le pays forestier, où les Finnois étaient très nombreux. Les Finnois-piétons, répandus de la mer Blanche à la Russie centrale, ont, comme leurs frères d’Asie, les Finnois-cavaliers, l’ame servile et cruelle. Les grands-ducs s’aidèrent de l’esprit de cette race pour s’élever à l’autocratie. La domination des nomades favorisa cette tendance. Le peuple haïssait les divisions qui l’avaient perdu ; il sentait le besoin d’unité pour s’affranchir, et mettait son espoir dans la force du prince. Les grands-ducs passaient leur vie dans la tente du khan, elle devint leur école ; ils s’initièrent à l’esprit mongol, et en prirent les habitudes. Profitant habilement de leur rapport avec les nomades, ils se chargèrent de prélever pour eux le tribut sur toutes les provinces, et devinrent les percepteurs généraux de la Russie. Plus tard, ils se firent les justiciers de la horde et punirent les rebelles. Tout conspirait donc pour développer à Moscou le pouvoir absolu, et pour étendre l’autorité des ducs forestiers sur la Russie entière. Cette longue humiliation des Russes ne fut pas sans quelque grandeur. La résistance était sourde, timide, mais persévérante, et malgré ses hésitations et ses frayeurs, la nation semblait assurée de sa cause. Enfin peu à peu les nomades se retirèrent ; le duché de Moscou, avec toute la vengeance d’une colère long-temps comprimée, s’attacha aux pas des Mongols, les poursuivit jusque dans leurs solitudes asiatiques, et la Russie délivrée se constitua.

Ivan-le-Cruel inaugure cette époque. Il vint au monde au moment où une épouvantable tempête ébranlait Moscou. Il perdit son père de bonne heure. Les factions rivales se disputèrent avec acharnement le pouvoir sous la régence de sa mère, et le Kremlin fut ensanglanté par des révolutions de palais. Plus d’une fois le petit Ivan vit ses favoris arrachés de ses bras et conduits au supplice malgré ses cris et ses larmes. Souvent on le réveillait la nuit, et il assistait, tout tremblant, aux querelles violentes des boyards. Il prit, dans les terreurs continuelles de ses premières années, l’habitude de la cruauté et la haine de ceux qui l’entouraient. Sa mère mourut empoisonnée, et la famille des Schouiski gouverna la cour. La faction rivale excita le tsar à jouir en maître du pouvoir. Ivan, âgé de treize ans, avait déjà assez de dissimulation pour cacher son ressentiment. Il invite tous les boyards à une grande fête, les reçoit à sa table, et au milieu des réjouissances déclare tout à coup qu’il est temps de punir les traîtres. Il désigne le puissant Schouiski, et ce boyard, jeté par les fenêtres, est livré aux chiens.

Ivan, délivré du joug des boyards, s’essayait déjà au crime et à la tyrannie,