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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

passive pour subir la sentence de ses juges et se faire brûler à Lassa : tout cela compose un tableau fin et comique, où la part est habilement faite à la satire du présent. Rappelez-vous, si vous voulez, quelqu’une des chinoiseries de Voltaire. La seconde partie du roman est moins heureuse. L’auteur y développe, sous le voile de sa fable, son opinion particulière sur les destinées du christianisme, et ces idées, qu’il emprunte aux théories saint-simoniennes, ont souvent porté malheur à son imagination. Maha Guru, élevé pour être dieu, pour succéder au grand Lama, est éperdument épris de Gylluspa, la fille de Hali-Yong. Gylluspa l’aime aussi ; mais quoi ! aimer son dieu, aimer d’un amour si ardent le dieu suprême, l’intelligence infinie ! Maha Guru est-il dieu véritablement ? est-il bien l’incarnation du grand esprit ? C’est de cela qu’il s’agit. S’il est dieu ; il sauvera Hali-Yong ; s’il n’est qu’un homme, Gylluspa pourra l’aimer sans crainte, et ce que la fille désire, l’amante le redoute. Mais non : Maha Guru ne sauve pas Hali-Yong ; au lieu d’être une divinité, il aspire à être un homme et à pouvoir aimer Gylluspa. Quand il l’aura aimée, quand il aura pris sa part des joies de cette terre, quand il aura vécu enfin, il sera bien temps pour lui de reprendre sa divinité et de remonter au ciel. Maha Guru, pour M. Gutzkow, c’est le christianisme qui doit sortir des voies ascétiques, entrer dans le monde, se marier enfin avec la terre, et bénir toutes ses joies. Il est facile de reconnaître là le roman de 1834, la prédication saint-simonienne ; mais l’audace n’est pas heureuse. Ce mélange de doctrines sociales et d’inventions souvent bizarres, l’enchevêtrement de la théorie avec la fable où l’auteur s’amuse, embarrassent singulièrement cette dernière partie ; le prédicant fait tort au spirituel conteur, et lui enlève la grace malicieuse de ses premiers chapitres.

M. Gutzkow pouvait, je le répète, profiter de cette veine comique qui lui avait réussi dans certaines parties de Maha Guru ; malheureusement il s’est cru appelé à de plus grands triomphes. Après ces premiers romans, où il avait essayé une vive satire de la société, il voulut se jeter dans la politique. Il y eut, en effet, un instant où la situation de la jeune Allemagne parut devoir changer tout à coup. Poursuivi pour son roman de Wally, mis en accusation et condamné, M. Gutzkow put se croire un personnage considérable. Les rigueurs qui frappaient alors la jeune Allemagne semblaient faites pour rappeler à cette école qu’elle avait eu un but politique en s’organisant et un programme à faire triompher. M. Wienbarg allait être traqué de ville en ville ; on allait le chasser de Mannheim à Francfort, de Francfort à Mayence,