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insuffisance, je l’ai dit : eh bien ! les sciences sérieuses de la pensée, la philosophie et la théologie, vont l’essayer à leur tour ; mais, avant de mettre la main à l’œuvre, elles chasseront ces représentans infidèles.

Je tiens à l’établir clairement, c’est la même direction, c’est le même mouvement d’idées qui amène sur la scène cette armée nouvelle. Les premiers voulaient rajeunir la littérature, la faire descendre des nuages d’un idéalisme excessif, la rendre plus populaire et plus sociable ; ils voulaient que la muse allemande pût prendre part aux luttes de la vie active et consoler ou régénérer les peuples : c’était le but de M. Wienbarg, si vite abandonné par tant de plumes frivoles. Ces nouveau-venus veulent la même chose ; ils ont décidé que la philosophie inaccessible de Hegel se ferait comprendre à tous les esprits, et leur intention est de partager au peuple les trésors que la science a découverts. Les premiers avaient pris le nom de jeune Allemagne, ceux-ci s’appellent la jeune école hégélienne. Or, c’est devant la jeune école de Hegel que s’est dispersée la jeune Allemagne. Comment cette frivolité que je signalais tout à l’heure n’aurait-elle pas indigné ces nouveaux champions si résolus, si irrités déjà ? Il ne faut pas oublier ce contraste, si l’on veut comprendre les emportemens furieux qui ont succédé au dilettantisme banal de M. Henri Laube. Un excès a produit un excès plus fâcheux encore ; ceux-là étaient puérils, ceux-ci seront grossiers. Craignaient-ils le piége où étaient tombés leurs devanciers, et ont-ils voulu prendre contre eux-mêmes des précautions sévères ? La vérité est qu’ils ont brûlé leurs vaisseaux.

Les Annales de Halle, qui furent le premier organe de la jeune école hégélienne, n’épargnent guère, quand l’occasion se présente, les écrivains de la jeune Allemagne. On voit, dès le commencement, qu’ils tiennent à se séparer d’une façon très nette de cette prétentieuse et inutile émeute de gentilshommes. Pour qui voudrait railler, ce choc des deux écoles, ce contraste si vif a été plus d’une fois assez plaisant, et la déroute est désormais complète dans le camp de M. Gutzkow. C’est avec une véritable fureur, on peut le dire, que nos jeunes philosophes ont attaqué les élégans humoristes. À l’époque où les Annales de Halle venaient d’être fondées par M. Arnold Ruge et M. Echtermeyer, M. Henri Laube et M. Gervinus publiaient chacun une histoire de la littérature allemande. Certes ce n’était point M. Laube avec sa légèreté, sa science douteuse, son style éventé, qui convenait à ce rôle d’historien. M. Gervinus, au contraire, avait apporté dans ce travail les qualités incontestables de son esprit, une pensée nette et ferme, une érudition très sûre, et aussi, il faut le dire, l’assurance