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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

école hégélienne ? Ils tâcheront de sauver ce que les romanciers politiques ont si singulièrement perdu. Aussi fermes, aussi décidés que ceux-ci étaient vains et frivoles, ils s’efforceront de représenter avec vigueur les vives ambitions de l’esprit nouveau, et ce besoin d’agir qui succède toujours, même chez les nations les plus lentes, au long monologue de la pensée solitaire. La publication des Annales de Halle, entreprise par M. Arnold Ruge et M. Echtermeyer, n’a pas à mes yeux une médiocre importance ; j’aperçois là une curieuse expérience que l’esprit allemand a faite sur lui-même, et j’y veux découvrir ce qui lui manque jusqu’à présent pour ces destinées qu’il convoite. Il s’agit de savoir si le génie de l’Allemagne, en abandonnant ces calmes sommets de la contemplation, où il avait trouvé sa gloire, saura se renouveler, se transformer, et de quelle manière enfin la muse qui régnait dans les nuées va marcher sur la terre. Voilà des hommes bien décidés, bien sûrs d’eux-mêmes, à ce qu’il semble, M. Arnold Ruge, un esprit convaincu, intrépide, M. Echtermeyer, une plume énergique et audacieuse ; autour d’eux, tous ces jeunes écrivains qui s’associent à leur tâche, M. Rauwerck, M. Bruno Bauer, M. Feuerbach, M. Frauenstaedt, M. Frédéric Koppen, paraissent aussi bien résolus à faire triompher la révolution qu’ils représentent. Sachons donc ce qu’ils ont fait.

Les premiers numéros des Annales de Halle me donnent beaucoup de regrets pour ceux qui les ont suivis. Pendant la première année, je vois là une polémique rigoureuse, sensée, bien appropriée au but qu’elle se propose. En parcourant pour la première fois cet organe d’une opposition que je crois utile et nécessaire, je m’étais dit que je devais y trouver, pour être satisfait, une œuvre ferme malgré son ardeur, hardie, mais sûre et maîtresse d’elle-même, franche et droite dans ses desseins, quelque chose enfin qui serait pour l’Allemagne ce qu’a été pour nous le Globe sous la restauration. Les premiers numéros répondaient assez bien à l’idéal que je m’étais formé d’avance. En même temps que les productions nouvelles, poésie, philosophie, histoire, étaient appréciées avec une décision bien rare aujourd’hui dans la critique banale des journaux allemands, les jeunes docteurs osaient pénétrer bravement au cœur même des universités, et les soumettre toutes à un examen redoutable. Chacune des universités allemandes comparaissait à son tour devant ce jury inflexible. On interrogeait leur histoire, on leur demandait compte de leur science inutile. Une critique vive, alerte, entrait cavalièrement dans ce qu’elle appelait ces sanctuaires égyptiens ; elle y portait la lumière, elle forçait