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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

à toute l’Allemagne et justifier par leur intolérance les rigueurs dont on les frappa bientôt. Le génie germanique, qu’ils avaient voulu d’abord régler, diriger, conduire dans d’autres voies, ils se mirent à l’injurier avec colère. Si quelque réclamation se faisait entendre, si l’on s’écriait : « Mais nous ne sommes point ce que vous dites ! nous avons toujours été une nation spiritualiste et chrétienne, et quand nos voisins, dans un moment de vertige, ont prêché l’athéisme, ces doctrines n’ont jamais trouvé d’écho en Allemagne, » M. Ruge répondait : « Oubliez-vous précisément que nous sommes les élèves de la France, et que nous avons accueilli toutes ses idées ? Oubliez-vous que Schiller a écrit les Dieux de la Grèce, Goethe la Fiancée de Corinthe, que Lessing a publié les Fragmens de Wolfenbütler, et que le grand Frédéric a appelé Voltaire à sa cour ? » Voilà, certes, une phrase hardie, et j’avoue que je ne connais rien de plus significatif dans ces vives discussions. Pour arracher un tel aveu à un écrivain allemand, il a fallu que la passion fût bien forte. Ce qui serait simple et naturel partout ailleurs acquiert ici une singulière importance. Dans la longue querelle, dans la querelle séculaire de l’esprit allemand et de l’esprit français, c’est là, il faut le reconnaître, un évènement assez imprévu, un véritable coup de théâtre. Lorsque, après les élégantes frivolités du siècle dernier, la muse française, ranimée par le spiritualisme vivace de Jean-Jacques Rousseau et les grandes épreuves de la révolution, passait le Rhin avec Mme de Staël pour chercher le calme d’une philosophie plus élevée et les libertés d’une poésie plus aventureuse, elle n’abandonnait pas pour cela son caractère, elle ne se dépouillait pas de son esprit : elle continuait le mouvement imprimé aux intelligences par l’auteur de la Nouvelle Héloïse et par les évènemens qui renouvelaient l’Europe ; mais que l’Allemagne aujourd’hui proclame Voltaire pour son maître, on me persuadera difficilement que ce soit un progrès légitime de son génie.

Je ne voudrais pas triompher trop aisément, ni blâmer l’Allemagne pour exalter ma patrie : ne voit-on pas là cependant la différence essentielle des deux peuples, et comme nous possédons mieux ce sens de la vie pratique, cet esprit de conduite qui manquera long-temps encore à nos voisins Nous voulons échapper au matérialisme, au scepticisme, et nous allons emprunter aux peuples allemands quelque chose de leur imagination, demeurée plus sereine et plus confiante ; mais nous faisons cela sans cesser d’être nous-mêmes, quoi qu’on ait pu dire, et bien décidés à surveiller attentivement les écrivains qui nous parleront de ce pays. En Allemagne, au contraire, si une école