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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

avaient été intolérans, et on l’était avec eux. Comme les Anecdota, ce journal nouveau nous arrive non pas de l’Allemagne, mais de la Suisse. Ce n’est pas précisément un journal, c’est un livre, une revue si l’on veut, et cette revue échappe à la censure, laquelle ne frappe que les journaux ou brochures qui ont moins de vingt feuilles d’impression. Malgré cette précaution, je ne sais si les Vingt-et-une Feuilles, puisque c’est le nom choisi par M. Herwegh, ont pu pénétrer en Allemagne. Il est certain que c’est là une série de pamphlets très audacieux. Il y a quelques bons articles dans la publication de M. Herwegh, quelques sérieuses études sur les discussions de la chambre des députés du duché de Bade pendant la session de 1842 ; mais ces travaux sont rares, et font bien vite place aux déclamations. La Prusse, comme on pense, a beaucoup à souffrir de ces violences. Qu’il y ait lieu à examiner, à surveiller la marche de la chose publique cela est incontestable, mais il faut avoir qualité pour cela ; or, les discussions utiles ne sont pas communes dans le recueil de M. Herwegh. L’auteur n’a pas cependant l’excuse de M. Arnold Ruge et de M. Bruno Bauer, et ce n’est pas la science théologique qui a pu l’entraîner dans des dissertations ténébreuses. M. Herwegh est poète, il a du talent, de l’éclat, de l’ardeur, et nous le retrouverons bientôt à la tête des poètes politiques : j’espérais que la philosophie ne poursuivrait pas le jeune auteur des Poésies d’un Vivant, et que son recueil, plus léger, plus décidé, irait droit à son but ; oui, j’espérais qu’il y aurait là un système appréciable, une polémique directe, une discussion politique enfin, puisque c’est de politique qu’il s’agit et qu’on est si fier de prononcer ce grand mot. Mais non, la philosophie défend ses droits, elle veut être la première à l’émeute. Ces publicistes allemands, malgré l’envie qu’ils ont de paraître irrités, malgré leurs allures de tranche-montagne, procèdent toujours avec une circonspection parfaite, avec une méthode irréprochable. Avant d’introduire chez eux les principes extrêmes qu’ils empruntent de tous les côté, il importe de démontrer que la philosophie allemande exige impérieusement ces réformes ; il faut prouver que ces prodigieux efforts de pensée qui avaient étonné le monde, ces grandes doctrines qui se sont succédé depuis Kant et dont nous admirions l’idéalisme insatiable, il faut prouver que tout cela est parfaitement d’accord avec le matérialisme nouveau-né, avec les utopies épicuriennes que M. Herwegh prend sous sa protection. Singulier empressement de ce pays à se calomnier lui-même ! Un des plus importans chapitres des Vingt-et-une Feuilles est celui où le publiciste compare Babœuf, Saint-Simon et Fourier, à Fichte, Schelling et Hegel.