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natale, le siége de son empire, et qu’elle lui annonçait avec une éloquence inspirée je ne sais quelles destinées glorieuses, le bourguemestre répondait par une épigramme. Que dira maintenant ce pasteur inoffensif à cette vaillante païenne qui lui explique si bien la mythologie ? Si Bettina s’exalte dans quelque dithyrambe alexandrin ; si elle venge la religion grecque et les dieux de l’antique beauté ; si, dans son délire, le christianisme ne lui apparaît plus que comme un plagiat du culte de Sophocle et de Phidias ; si elle voit dans les vertus théologales les trois Graces du ciel païen, dans ce saint Christophe qui traverse le torrent avec le Christ enfant sur ses épaules, Hercule portant l’Amour entre ses bras, dans le Saint-Esprit qui descend en langues de feu, Apollon dieu du jour, ces idées à coup sûr ne sont pas nouvelles, et le pasteur pourrait lui répondre qu’elle n’est elle-même qu’une païenne irritée du IVe siècle, une sœur peut-être de cette célèbre Hypatie qui enseignait si éloquemment dans les écoles d’Alexandrie. Mais lorsque, s’exaltant toujours, elle s’emporte jusqu’à dire : « Mars est devenu l’archange saint Michel. Comme il s’est ennuyé long-temps ! Il s’est vengé enfin ; c’est lui qui a conduit la révolution française, c’est lui qui nous a rendu l’antique énergie, c’est lui qui détruira les cieux chrétiens ! » quand son délire est arrivé là, le pasteur a raison de frémir, et nous répétons avec lui ce cri bizarre que lui arrache sa naïve épouvante : « Prenez garde, madame, prenez garde ; votre esprit, comme Sapho, vient de tomber dans la mer ! » Du reste, cela est écrit dans le dialecte de Francfort, dans ce dialecte fin et narquois que Goethe connaissait si bien, et dont sa langue savante a conservé plus d’une qualité. Mme d’Arnim ne se contente pas d’emprunter, comme Goethe, quelques formes nouvelles, quelques tours inusités au dialecte de sa ville natale ; c’est dans ce dialecte même, c’est dans ce patois, qu’elle écrit tout son livre, pour déguiser sans doute la hardiesse de ses idées. Cette forme populaire donne, en effet, à l’ouvrage une physionomie particulière de bonhomie inoffensive. On ne sait si cela est sérieux ou s’il faut sourire. Les plus étranges bouffonneries succèdent sans cesse aux puissantes évocations, aux énergiques élans. Après quelques discours d’une audace altière, la joyeuse prêtresse se retrouve à table, son verre à la main. Après une exposition hardie de ses opinions républicaines, elle annonce gravement au pasteur qu’il sera mangé par un ours, s’il ne se fait démocrate : le pasteur prend son chapeau et se sauve au plus vite ; mais vous êtes sûr que l’auteur ne laissera pas tomber la plaisanterie : il amènera tout exprès dans la rue une ména-