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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

gerie ambulante, et un ours échappé poursuivra le pasteur jusqu’à sa maison. Vraiment, l’épilogue était inutile, et le pasteur n’en avait pas besoin pour accuser Bettina de sorcellerie.

Ce qu’il y a de sérieux dans ces folies, c’est que tous les systèmes, tous les mouvemens d’idées qui se sont produits en Allemagne depuis cinquante ans y sont fidèlement représentés. Cette imagination vive et facile n’a rien créé, elle a tout répété avec passion. Philosophie et religion, idéalisme et réhabilitation de la chair, teutonisme impérial et démocratie, communisme, socialisme, tout ce qui a occupé les esprits, tout ce qui a ému les intelligences, tout cela se croise et se mêle dans le dialogue étourdissant de Mme d’Arnim. Pour peu que vous connaissiez les principaux noms qui ont attiré l’attention publique, vous les retrouvez sans peine à chaque page : tantôt c’est Schelling, Hegel, Novalis, tantôt M. d’Arnim son mari, ou M. de Brentano son frère ; ici c’est M. Gutzkow ou M. Mundt, là M. Strauss, M. Arnold Ruge, M. Feuerbach. Cette remarque devient très grave quand on se rappelle par où Mme d’Arnim a commencé et dans quel monde idéal se plaisait autrefois sa fantaisie. Ces jours derniers, un critique disait d’elle dans la Gazette d’Augsbourg : « Si Bettina eût vécu au moyen-âge, que serait-elle devenue ? Une sainte ou une sorcière. On l’aurait canonisée ou bien on l’aurait brûlée. » Eh bien ! cette femme vraiment extraordinaire, cette femme enthousiaste, qui, sorcière ou sainte, prêchant le mal ou le bien, n’en était pas moins un des plus fidèles représentans de l’esprit germanique et de son idéalisme bon ou mauvais, sublime ou égaré, elle descend aujourd’hui de ces hauteurs, et la voilà, comme tous les autres, dans la mêlée politique. Je crois que ce fait est significatif. Si Bettina abandonne ces régions idéales, si elle quitte ce monde surnaturel pour le monde de tous les jours, décidément l’esprit public est changé. Elle a été la dernière sans doute à fuir ce pays du spiritualisme ; mais si elle en est partie, il faut le reconnaître, l’Allemagne aussi, le génie de l’Allemagne abandonne avec elle ses anciennes voies : il aspire à des destinées nouvelles. Je ne sais si Mme d’Arnim y a songé, mais l’arrangement dramatique de son livre me rend cette idée plus sensible encore. Où sommes-nous en effet ? Où se passent ces entretiens qu’elle nous rapporte ? À Francfort, dans la maison de Goethe. Or, Goethe, l’artiste souverain et impassible, a été le plus illustre exemple de cet idéalisme indifférent que l’Allemagne combat désormais. Eh bien ! c’est de sa maison que sort cette prédication ardente, et cette prêtresse révoltée, si avide aujourd’hui du monde réel tant dédaigné par lui, c’est son élève, son amie, son enfant, c’est Bettina.